Vous dessinez au stylo bille, dont l’utilisation la plus courante est l’écriture. Le dessin au stylo bille ne laisse aucun repentir possible. Qu’est-ce-qui vous a séduit dans ce médium ? J’aime bien l’idée de détourner un objet universel pour en faire autre chose. Le stylo est initialement conçu pour l’écriture, pour réaliser un trait si vous préférez. Ce qui me plait, c’est d’utiliser le trait pour créer des volumes. C’est en accumulant et en superposant les traits, courbes ou droits, que j’obtiens une densité avec des volumes et de la profondeur. Vous évoquiez la notion de repentir et je me souviens d’un exercice durant mes cours aux Beaux-Arts, lors des sessions de dessin de modèles vivants : le professeur estimait que nous corrigions trop nos dessins, en gommant énormément et par conséquent nous revenions sans cesse en arrière. A un moment donné, il nous a distribué des stylos et a demandé à ce que nous dessinions sans possibilité de corriger. J’ai trouvé cette démarche intéressante car elle questionne notre rapport à la peur, notamment la peur de se tromper, la peur de décevoir… Et puis le stylo est facile à transporter, il est utilisable sur n’importe quel support et dans pratiquement toutes les conditions, y compris dans les transports. Dès que je voyage ou que je pars en vacances, j’emporte mon carnet de croquis. Par contre, j’ai systématiquement sur moi mon appareil photo, qui est l’outil primordial dans mon travail. Je l’utilise presque comme une extension de ce que je vois.
Cette technique a la particularité d’impliquer un temps de réalisation assez long. Est-ce important ce rapport au temps ? Je dirais que c’est à l’image des cours de dessin avec les modèles vivants : le résultat est différent en fonction de la rapidité d’exécution. Il arrive qu’un temps de réalisation assez court, limité dans le temps, donne un résultat pertinent, quoique non abouti. Et il arrive que la réalisation soit plus longue, ce qui permet d’être plus précis et potentiellement d’éviter de se tromper. Il n’y a pas une façon de faire qui soit meilleure que l’autre. Moi qui suis très minutieux, je me force parfois à aller plus vite parce qu’un trait plus nerveux est tout aussi intéressant qu’un trait soigné. Le stylo bille a la particularité, par rapport à la peinture ou au crayon, d’apporter du bleu. Techniquement parlant, je ne fais que foncer la feuille blanche. En dessinant mes traits, je vais de plus en plus dans le bleu profond et je ne peux pas éclaircir. Cela implique d’avancer assez doucement pour éviter d’aller trop loin en fonçant trop, surtout pour les portraits. Et bien sûr, il faut s’avoir s’arrêter au bon moment.
Vous faîtes le choix d’utiliser un stylo bille bleu, au lieu du noir. Effectivement, le stylo noir ne m’a jamais intéressé car on a l’impression d’être face à un dessin réalisé au crayon graphite, en particulier lorsqu’on regarde de loin. On a donc un doute sur la technique employée, cela met de la confusion. Au contraire, le bleu est immédiatement identifiable. Mais on n’a pas l’habitude de le voir en aplat et c’est ce qui m’intéresse. Le stylo bleu engendre des reflets parfois violets, qui sont aussi très intéressants à mes yeux.
Le dessin au stylo donne ce rendu presque photoréaliste. Justement, quel rôle joue la photographie dans votre travail ? Le travail commence par la photographie. J’aime beaucoup observer ce qu’il se passe autour de moi et je fais de la photo depuis longtemps. La photographie permet de capturer l’instant, d’arrêter le temps en quelque sorte. Ensuite je traduis la photo en dessin, tout en ne cherchant pas forcément à obtenir un rendu réaliste, c’est important de le préciser. C’est l’aspect technique qui me semble le plus intéressant, avec une double lecture : de loin et de près où l’on perçoit l’accumulation des traits qui donnent le volume. Je transforme la matière puisqu’à partir de l’encre du stylo, je peux donner un rendu qui ressemble à du cuir comme le sac à dos de la belle de la Fontaine de Trevi par exemple. Les cheveux d’ailleurs, se prêtent très bien à être retranscrits au stylo car ce sont des traits en accumulation. Je réalise des séries sur les poses urbaines, où mes sujets sont représentés en train de pianoter sur leur téléphone portable ou en train de faire un selfie. Ce sont des attitudes qui n’existaient pas encore il y a une dizaine d’années et je les documente en isolant le sujet du fond.
Depuis combien de temps dessinez-vous ? Je dessine depuis tout petit. C’est ma mère qui m’a appris les bases du dessin. Elle avait un CAP de couture et dessinait les mannequins. Pendant mes années lycée, je dessinais au crayon sur des pochettes cartonnées mes pop stars préférées comme David Bowie ou Sting d’après photo. J’aimais bien l’idée d’exemplaire unique. Mais très vite, j’ai réalisé que je souhaitais faire moi-même les photos des sujets que j’allais dessiner, pour maîtriser tout de A à Z. Ainsi, je peux choisir la lumière, le personnage et la pose.
Votre activité artistique inclut également des commandes de portraits. Oui, la plupart du temps ce sont des gens qui souhaitent réaliser des portraits de leurs proches : enfants, épouse… En général, les clients apportent une photo qu’ils ont choisie. Mais je préfère prendre en photo moi-même parce que c’est une étape qui me semble très importante pour parvenir à caractériser la personne. Avec les commandes, il y a un stress supplémentaire : il faut que le portrait soit ressemblant !
Vous êtes également ingénieur pour Airbus Helicopters. Comme je vous le disais, je dessine depuis tout petit. Ayant en tête que c’était une véritable passion chez moi, un professeur m’avait conseillé de m’orienter vers le dessin industriel, après avoir passé un Bac scientifique et technique. J’ai obtenu un Diplôme de technicien supérieur en génie mécanique, puis d’ingénieur. Dans le monde industriel, les échéances sont parfois très longues car les projets s’étalent sur plusieurs années. Alors que dans ma pratique du dessin, je peux gérer moi-même mon temps et il y a cette immédiateté qui me plait beaucoup. Entre mon métier et mon activité d’artiste, j’ai trouvé un équilibre qui me convient.
Depuis quelques années, vous êtes installé à l’Atelier Suspendu, au coeur de Marseille. C’est une chance incroyable. J’ai rencontré Mme S. aux cours de dessin organisés par la Ville de Marseille. Nous avons commencé à discuter de nos techniques respectives et l’échange a immédiatement été constructif. Par la suite, nous avons évoqué l’idée de nous associer pour trouver un atelier à partager. La dimension humaine est très importante entre nous. C’est enrichissant de travailler avec d’autres artistes : les critiques sont toujours constructives. L’Atelier Suspendu est un atelier galerie, à la fois lieu de travail et lieu d’exposition et de vente. Cet espace nous procure une grande liberté. Et puis bien sûr, il y a des rencontres avec le public qui sont très enrichissantes.
Stéphane Dupuis est né en 1970. Il vit et travaille à Marseille.
“I’d like to think the figures in my paintings remind the viewer of certain people or evoke memories rather than portray specific identities.”
Gideon Rubin mainly paints with oil on canvas. He confesses he had always produced portraits. But at some point, the way he did radically changed. Nowadays he is famous for his specific portraits without a face – as if somehow erased – which allows the viewer to picture some features, or not, in an open way. His work stands between abstract and figurative painting and it deals with the notion of identity. The background is usually neutral and the color palette shows light tones such as sand, grey-blue, eggshell, tones that are considered as ‘natural’. You can also see the brush strokes on the canvas. Once you have seen a Gideon Rubin’s painting, you immediately recognise his unique touch the next time you are confronted with a new one.
He is also an avid collector, purchasing objects, vintage magazines and photographs in flea markets, antics shops, even eBay… He owns an impressive collection of old pictures featuring anonymous people. These pictures depict memories that are not his but he uses them in order to initiate a larger interpretation with a lot of different stories. It is amazing to see how easy it is for the audience to project stories or memories just by looking at portraits where a few details are missing. How relevant this is now, at a time when our faces are masked. Once the features like the eyes, the nose and the mouth are removed, the character can be anybody.
Growing up, art was no stranger to him as his grandfather was famous Israeli painter Reuven Rubin who produced a lot of landscapes in the fashion of Cézanne. He previously studied in Paris at the renowned Ecole des Beaux-Arts and he was among the few ones in the family to have survived the Holocaust by escaping to Israel. In addition to this, Gideon’s mother worked as a curator in the Reuven Museum located in Tel Aviv.
Childhood is a recurring pattern in your work as you often start with photographs of children from the era of the late 19th century. It shows through the attitude of the characters in your paintings: they stand quite staid, which is quite unusual today. Does the childhood era represent memories in your opinion?
I guess it represents memories or perhaps some longing to an analog world that almost doesn’t exist anymore. As I stated previously, you pick and collect old portraits photographs.
How much your personal history influenced this practice and your work ultimately?
I mostly use anonymous images. People I don’t know, it creates a certain distance that gives room to free the narrative, I find this a much richer experience. But of course everything is personal… so I can imagine this obsession had quite a bit to do with the loss of families and family albums all those years ago.
Among the numerous portraits, there is one that drew my attention a long time ago: it is a gouache on a magazine depicting an Asian woman, her features are actually quite visible, which rarely happens in your work. I noticed another one on your instagram account, it is the portrait of your daughter Ellie. I was wondering why you chose to keep the features for both of them.
I have some paintings with features. I don’t see a difference anyway.
Could you review your work in a critical way?
Hmmm…. sometimes.
You sometimes make reference to Old Masters like Goya or contemporary artists such as Balthus and Richard Prince. I wonder what artists would you pick to be featured in your own hall of fame or museum of choice. In other words, what/who inspires you?
It’s a very long list of painters, poets, writers, musicians, filmmakers, visual history etc.. its a list too long to mention but it does update it self constantly. We live in an image based society, it could be just random. Latest editions – pianist Glenn Gould and Hertha Thiele (a German actress from the Weimar cinema).
What is a typical day of work?
Drop the girls at school and then studio until dinner time. Kind of boring but perfect.
Do you have a special routine when working?
Espresso in the morning is a must. And every other day – a run or tai chi before I start my day. Music all the time.
You work with oil painting which has been used for hundreds of years and stands as the greatest media because of its durability and the way it enlights colors. But it also implies a slow drying-time. How long does it take to make a painting?
I am prolific painter and generally work fast anything between about a day and a couple of weeks. Also work with gouache on cardboard for quick small paintings.
What are your current projects?
My solo show in Paris ‘A Stranger’s Hand’ at Galerie Karsten Greve ends in two weeks. In 2021 I have two solo shows opening early February at Fox Jensen galleries in Sydney and Auckland and one at Ryan Lee Gallery in New York in October.. and a few group shows planned for London, Seoul, Tel Aviv…
A l’occasion de sa deuxième exposition solo à la Galerie David Pluskwa, rencontre avec Luke Newton, jeune plasticien qui puise dans le quotidien pour créer des œuvres (d)étonnantes.
Small Dynamite 2/9
Parmi les pièces présentées dans l’exposition, on remarque immédiatement les crânes aux couleurs vives, qui s’inscrivent dans une longue tradition de l’Histoire de l’art : les vanités. Ce sont en général des peintures ou des sculptures représentant la mort avec un crâne humain et pouvant mettre en scène diverses activités. C’est assez frappant avec la série des Skulls réalisés à partir de collages sur carton. J’ai développé cette série pendant le premier confinement. Le choix des couleurs donne une identité propre à chaque assemblage. A vrai dire, je n’ai pas cherché à faire écho aux vanités au sens propre du terme : la série n’est pas une réflexion sur le caractère éphémère de la vie ou encore la Mort envisagée comme finalité inéluctable. J’ai plutôt utilisé le crâne comme symbole de l’humanité en me posant cette question : “Qu’est-ce qui caractérise l’humain ?” C’est la capacité à créer, produire, et… consommer ! Notre consommation quotidienne permet de nous identifier, on laisse une empreinte en quelque sorte. Il y a cette fameuse phrase en anglais “You are what you eat” : on est ce qu’on mange.
Skull 7/8
Vous avez étudié à la prestigieuse école d’art Saint Martins School à Londres, la presse vous qualifie de “Young British Artist”. Est-ce que vous vous sentez une filiation avec ces artistes qui ont apporté un nouveau souffle à la scène artistique britannique au tournant des années 80 et 90 ? Bien sûr, ils ont été très influents et le sont toujours d’ailleurs. Et comme vous l’avez mentionné, j’ai reçu un enseignement artistique à Saint Martins avec des cours d’Histoire de l’art. J’aime aussi l’Antiquité donc toutes ces influences se retrouvent dans mon travail. Ça fait dix ans que je vis en France mais je me sens toujours Anglais, bien sûr ! Je porte un regard sur la société qui m’est propre, avec ma culture, mes références.
Nous sommes dans l’exposition qui vous est consacrée à la Galerie Pluskwa à Marseille. Comment la rencontre a-t-elle eu lieu ? Je connais David depuis dix ans. J’ai travaillé auparavant pendant pas mal d’années avec JonOne, qui est également représenté par la galerie. David m’a offert l’opportunité de présenter mon travail il y a six ans à l’occasion d’une première exposition solo.
Oops!
Et vous avez choisi de vivre en France. Oui depuis dix ans. Je vis entre Paris et Roubaix qui me rappelle mes origines, le Nord de l’Angleterre avec ses villes industrielles. Je trouve une chaleur humaine là-bas qui est incroyable. Et puis Paris bien sûr, qui m’apporte beaucoup, tant sur le plan professionnel que personnel.
A quoi ressemble une journée type de travail ? Pour moi une journée type c’est le travail (rires). Je travaille tout le temps, même si je ne suis pas en production. Je suis toujours en train de réfléchir ou de faire le tri parmi mes idées. En ce qui concerne la production, je procède de manière très mécanique, un peu comme dans une usine. Il s’agit de capitaliser mon temps avec un procédé qui me permet de créer des objets de qualité dans un laps de temps le plus court possible. C’est parce que j’ai beaucoup d’idées dans ma tête ! Avec des œuvres déjà quasiment réalisées de toutes pièces, j’ai envie de parvenir à les matérialiser.
Votre travail a une portée universelle car quiconque peut y reconnaître les formes ou les objets utilisés. Il n’est pas nécessaire d’avoir une culture en Histoire de l’art par exemple. Effectivement c’est mon but. J’ai en quelque sorte trois chapitres de création, le premier c’est la liberté – c’est-à-dire la liberté de créer ce que j’ai en tête en expérimentant avec des techniques différentes. Le second c’est l’école d’art avec le conceptualisme. On nous incite à réfléchir, souvent trop d’ailleurs, et trouver un concept pertinent. Et enfin le troisième chapitre c’est ce que je vis maintenant : articuler les deux en créant des pièces accessibles tout en étant conceptuelles.
Glock 2/10
En voyant la série des armes à feu réalisées à partir de crayons de couleur, on pense forcément au dessin de l’illustratrice Lucille Clerc largement relayé sur les réseaux sociaux suite aux attentats de Charlie Hebdo. Au-delà du contexte politique que je viens d’évoquer, comment vous est venue l’idée d’utiliser le crayon comme matériau ? J’avais réalisé auparavant une petite série avec les silhouettes des armes les plus vendues à échelle mondiale. La seule chose qui changeait, c’était la couleur. Elle est devenue un produit de consommation à part entière car on peut choisir son téléphone en jaune ou en rouge par exemple. Mais c’est toujours le même produit en fin de compte. On associe le crayon de couleur au coloriage des enfants, c’est un outil de création à priori, et non la création en elle-même. Et il y aussi un clin d’œil au ready-made de Marcel Duchamp car j’utilise un objet existant pour réaliser une œuvre. Disons que les attentats m’ont donné l’impulsion pour concrétiser cette association armes-crayons et réaliser une série en collaboration avec la Galerie David Pluskwa. Les profits réalisés lors de la vente aux enchères ont été reversés aux familles des victimes des attentats. Aujourd’hui, je poursuis cette série parce que cet objet est devenu essentiellement le symbole de notre liberté d’expression. Et j’aime toujours le contraste engendré entre le crayon de couleur et les armes et les symboles que ces objets véhiculent.
Happy Valentine’s 1/6
La série des sculptures Happy Valentine’s peut faire écho à la fois à la quête des like sur les réseaux sociaux, ou en tout cas l’approbation au sens large. Quel rapport entretenez-vous avec les réseaux sociaux ? Initialement, les réseaux sociaux étaient censés faciliter les contacts entre les gens, mais cela a dévié peu à peu vers une approche plus égocentrée. La symbolique du coeur est ambivalente car elle peut engendrer une addiction. Je ne juge pas, j’essaie d’exprimer cette contradiction avec la série. En ce qui me concerne, je me sers des réseaux sociaux pour faire la promotion de mon travail. Je les utilise comme un outil de communication, un peu comme si Luke Newton était une marque.
Le Château de Forbin a ouvert ses portes en juin dernier, sous l’impulsion de trois collectionneurs passionnés. Cette magnifique demeure provençale du XVe siècle située à l’orée du Parc des Calanques sert d’écrin à l’exposition inaugurale intitulée Passage(s). On y découvre une quinzaine d’artistes new-yorkais des années 80 et 90, portés par une énergie brute, qui travaillaient le plus souvent directement dans l’espace urbain loin des écoles ou des galeries d’art. Sans en avoir conscience, ils ont engendré ce que nous appelons aujourd’hui communément le street art. A l’origine, le graffiti est une écriture qui s’est d’abord déployée sur les rames du métro et les palissades. Hors-la-loi, voire dangereux dans ce contexte fortement répressif, le graffiti a depuis pénétré le milieu de l’art et la publicité par le biais de la culture hip-hop. Les artistes présentés ont la particularité d’être issus de la scène de l’East Village de New York, dont Keith Haring endosse, sans aucun doute, le rôle de figure de proue.
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Visite avec Caroline Pozzo di Borgo, l’une des fondatrices
Vous avez, me semble-t-il, l’une des plus importantes collections au monde. “Cent trente oeuvres sont montrées pour cette première exposition. Nous changerons l’accrochage selon les thématiques, ou en fonction des artistes qui viendront en résidence car il y a également une petite galerie à l’étage inférieur qui permet de montrer une exposition distinctement du reste. Nous ne pouvons pas montrer toutes les pièces de la collection d’un coup et ça n’aurait aucun sens de le faire. Pour cette première exposition, nous avons souhaité montrer des pièces emblématiques qui permettent d’appréhender la richesse et les techniques du graffiti pour en retracer l’histoire. Cela nous semblait important. Cet endroit est atypique car ce n’est pas un white cube habituel, il y a des tapis, des canapés, nous voulions faire quelque chose de chaleureux, qui mette les visiteurs à l’aise. Je pense que cet endroit nous ressemble.”
En 2018, vous fondez Ghost Galerie à Marseille avec Stéphane Miquel. “Nous avons trouvé cet espace en plein coeur de Marseille. Les locaux avaient appartenu à la police, ce qui est plutôt drôle étant donné que nous montrons des graffeurs ! La galerie est ouverte sur rendez-vous uniquement, car nous tenons à pouvoir accueillir les gens correctement et leur consacrer le temps qu’ils souhaitent.”
Marseille n’a rien à voir avec Paris. Qui passe la porte de la galerie ? “Selon les moments, des étudiants, des collectionneurs étrangers, des jeunes des quartiers Nord, des curieux… C’est très varié et nous en sommes ravis. Nous avons conçu la galerie comme un lieu d’échange et pas uniquement comme un canal de vente.”
En parcourant les salles du château, on est frappé par la diversité des oeuvres : leurs supports, leurs couleurs… “Il y a des techniques différentes : Aone par exemple, peignait au sol la majorité du temps. La position n’est pas du tout la même que lorsqu’on se tient debout face à une toile, et le geste aussi, de fait. Donc certaines toiles d’Aone n’ont pas une perspective traditionnelle. Fab 5, lui, était très impliqué sur toile et également dans la naissance du hip-hop. Il a permis de faire connaître le mouvement en Europe via le Rap City Tour et il animait la fameuse émission Yo! MTV Raps qui a lancé tous les groupes importants comme MC Hammer, Busta Rhymes. Il a également signé le clip Rapture de Blondie. Il y aussi Rammellzee qui a réalisé une toile qui se regarde à la lampe torche pour mieux en révéler les couleurs.”
Plus loin, dans la bibliothèque sont montrées les photographies en couleur d’Henry Chalfant, qui a documenté les graffeurs dans les dépôts du métro entre la fin des années 70 et le milieu des années 80. Il a réalisé qu’il était en présence d’une nouvelle forme d’expression, basée sur le lettrage et qu’il fallait documenter cette révolution. “Très souvent on pense que les toiles ont plus de valeur que les dessins mais pour ces artistes, les deux sont importants car le travail préparatoire, sur le lettrage notamment, est primordial. Et tout est réalisé à main levée.”
En passant une porte, me voici presque nez à nez avec une oeuvre qui me semble familière : un personnage pixelisé. Space Invader ? “Il s’agit de Don Leicht et John Fekner. Ils ont initié une collaboration en 1982 et créé ce personnage qui s’inspire du jeu d’arcade japonais Space Invaders. Ils lancent l’invasion sur New York dans la foulée avec la déclaration Your Space has Been Invaded. Dans le contexte de l’Amérique de Reagan, outre leur apport au graffiti, tous les deux se sont énormément impliqués en faveur des communautés latino et africaine américaine de New York.”
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La visite se poursuit à l’étage avec quatre chambres donnant sur le parc luxuriant. Chacune est destinée à accueillir les artistes ou les invités qui viendront résider au château. Ce caractère intimiste renforce la convivialité des lieux. Sur un mur du couloir, une oeuvre de Dondi White qui avait été offerte au chanteur des Beastie Boys.
Hormis une femme artiste, Lady Pink, on ne trouve que des hommes dans le post graffiti. J’imagine qu’on peut certainement l’expliquer par le contexte de l’époque : la rue comme lieu d’expression et la dangerosité de New York, gangrénée par les rivalités entre les gangs depuis les années 70. Son nom, résolument féminin, a été choisi en concertation avec ses pairs masculins qui souhaitaient qu’elle puisse revendiquer son statut de femme et non se masculiniser. Vers l’âge de quinze ans, elle commence par taguer son nom en utilisant des couleurs comme le rose ou le violet lavande apposés directement sur la toile à la bombe, sans dessin préparatoire. “Tout à fait, d’autant que l’architecture d’un crew new-yorkais du graffiti était calquée sur l’organisation d’un gang avec une personne à la tête et puis les acolytes qui vont voler des bombes, qui font le guet pour guetter l’arrivée de la police. Donc une femme n’avait pas sa place dans ce contexte. La plupart d’entre eux était issue des minorités et venait des quartiers défavorisés. Lady Pink a cette particularité, elle était féministe avant l’heure, mais elle l’a compris plus tard. C’est à dire qu’elle ne s’est pas empêchée de bomber sous prétexte qu’elle était une femme.”
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Outre le caractère dangereux, est-ce-que le graffiti exigeait des capacités physiques plus complexes pour les femmes ? “Pas vraiment mais c’est vrai que pour appuyer sur la bombe pendant un certain temps, il faut de la force.” (rires)
Dans la continuité de l’accessibilité à un large public, vous projetez d’initier des résidences d’artistes pour insuffler encore plus de dynamisme au lieu. “Ils pourront venir séjourner pendant quelques semaines, produire des oeuvres sur place puisque nous avons aménagé un studio dans le parc qui leur permet de pouvoir s’isoler pour créer. Nous souhaitons également que le public puisse interagir avec eux lors de rencontres. Ces artistes ont en commun le désir de rendre leur travail accessible au plus grand nombre – et c’était déjà le cas à leurs débuts.”
‘It is important to create stories for yourself’ Simon Kerola
During Paris Photo fair last November, I had coffee with photographer Simon Kerola while he was spending a couple of days in Paris. He had a picture exhibited at Image Nation during Paris Photo and was enjoying time off.
What is a typical day of work? It’s strange you know because I used to wake up, leave my house and go to work. But nowadays I just wake up, make some coffee and go downstairs and my office is right there. Going through what’s new is always first on the list and then I just keep pushing on different projects and ideas. I try to check out at least one location a day. Sometimes they are new places or places that I already visited but I want to experience its difference in light.
Who are the people in your photographs? Are they close to you? They are people I see or meet, friends from friends. It is not really about who the person is, it is more about the characteristics: how he or she looks, behaves… Creating a character is important for me. I am trying to stay somewhat far from fashion photography but leaving it open.
On your Instagram account, the name is Johnny Keethon, is it an alter ego? There were a lot of abandoned houses in the neighborhood where I grew up. And there was this one house, in particular, the common family villa but really strange. I went there when I was younger, to smoke cigarettes, hang around, and eventually start taking photos. It said ‘Keethon died here’ on a kitchen cabinet. A few years later the house was gone and when I made my Instagram the name Keethon came to use and put together with the first name Johnny. I choose that name with the meaning it could be anyone. Just like Keethon.
As a photographer, were you influenced by movies? I never watched a movie and told myself ‘I want to do the same thing for my own work’. My photographs are pieces from my everyday surroundings put together into what you see. But since I’ve watched a lot of them, I think it plays its part. When I started doing photography, I discovered other works from people like Kyle J. Thompson. These images of abandoned America gave me a feeling that was the first introduction to where I wanted to take my passion.
I was struck by the use of color in your pictures, somehow it looks eerie. I remember reading ‘to print as a painter’ giving myself a completely new mindset for everything I did with my work from that point. I worked my way towards the idea of what a painting looks like. A lot of happy mistakes took me there. The photograph possible to achieve this color with is instantly noticeable when first going through developed rolls. It doesn’t work every time.
Which camera do you have? I have a digital Canon 5D Mark II that barely works and a Contax G2 that is a recent buy. I got a broken wrapped up in tape Canon A-1 that I rarely use, but is hard to throw away because of it’s amazing light leaks!
What about your current projects? When I look at my work, I see differences with what I was doing a year ago and now. And that’s the kind of progression I expect myself to see every year, hopefully. This kind of development leaves me with more knowledge and much more care about what I do. Projects are starting to take a longer time for me these days because I get really selective in what is worth doing. And how to put perfection into everything. It’s all a struggle but I can’t see myself doing anything else.
There is a lot to say…
Brian Finke works mainly on U.S. subcultures.
His work is featured in the pages of The New York Times, Wired Magazine, National Geographic, The New Yorker, Esquire and Newsweek.
We met in Paris, where photojournalism has deep roots with Magnum agency. While studying photography, were you influenced by these documentary pictures?
Yes. I first fell in love with photography through the work of W. Eugene Smith. I was in high school taking a ton of photography classes and a teacher recommended that I check out the book Let Truth be the Prejudice. It was a collection of Eugene Smith’s life’s work, along with the photographs also included were all the correspondences and letters that he wrote to family members while traveling and photographing. The whole life style was extremely inspiring.
I feel like I come from a generation of photographers that were inspired to become photographers from seeing previous photographers work. And the process of documentary photography really spoke to me: a story being told, being out in the world having experiences and all the learning that takes place along the way. Being a photographer is a very rich life.
What do you prefer: commissioned works or personal stuff?
The right balance of both is ideal. Doing personal work, publishing books, doing exhibitions, is what propels my assignment work and what leads to my most interesting commissions. My first book 2.4.6.8: American Cheerleaders & Football Players, focusing on athletes lead to assignments with W+K for Nike. I remember the AD saying while I was shooting women runners, that’s it’s just like my cheerleading photographs. I love that connection. And it’s continued through all my books. My Flight Attendants book lead to photographing campaigns for Delta Airlines and Air New Zealand. My Construction book to campaigns for Mobil with BBDO photographing truck drivers down South. U.S. Marshals book to photographing gun related stories and an amazing assignment for Wired magazine about John McAfee. And most recently my Hip Hop Honeys book, getting an assignment for W Magazine to photograph Rihanna’s pool party at Coachella.
Also creatively having both commissions and personal work is the best. I really enjoy how assignments are always sending me out in the world, having new experiences and being introduced to new subject matter. It feels great to get on a plane, arrive to a new place, start exploring and photographing. Recently I went to Haiti on assignment for AFAR magazine to photograph a story about a local rum called Clairin. I was shooting at these small distilleries out in the woods with dirt floors where the production was taking place, then bars in the city, also at voodoo ceremonies that incorporate the drink into their ceremonies. The assignment was an incredible way to see Haiti. That commission along with a few others over the past few years for publications like National Geographic photographing the history of booze, are leading to a book about alcohol around the world.
My guess is that you must devote yourself during quite some time for most of these projects. Possibly months or years. The series Flight Attendants is pretty amazing in that way, it caught my eye years ago. Was the whole setting process difficult, asking clearance etc.?
The Flight Attendants series was shot over three years, on an off in-between assignment and family life. To get access with airlines I would pitch travel and fashion stories to magazines. It was a time when airlines were hiring high-end designers to designer their uniforms. I photographed the Christian Lacroix uniforms designed for Air France. Through putting together a long list of airlines I would approach the PR departments pitching magazine stories, the airlines would either right away be totally into it, seeing the value of the press or want nothing to do with it. In the end I photographed approximately 20 airlines around the world to make up the book.
Apart from your books, do you sell your pictures through your art dealers? I saw your work on artnet as well.
I exhibit with ClampArt gallery here in NYC, just had my sixth show at the gallery to coincide with my latest book entitled Hip Hop Honeys. I’ve also exhibited with galleries in Paris, Amsterdam, Los Angeles and Chicago. It’s an important creative outlet showing the images across many different platforms, from galleries, to magazines, books, and online. Each venue requires a new way interrupting the work and reaches a new audience.
Looking at your series on food or alcohol, you succeed in making them not boring at all. How did you do that? By shooting it the same way than people?
I appreciate that, it’s great to hear. You’re exactly right, I do approach food and drink in the same way as photographing people. I’m interested in capturing a moment, people interacting with the food and drink, weather that being shooting food deconstructed, being eaten, drinks being poured, toasting, anything that creates a moment that brings it to life.
Some photographers say photography shows the truth. Do you agree?
I think that’s too simple of a question … My photography shows my interpretation of the truth. The whole truth is everything. For example when telling a story with images only a select number of moments can be shown, all of which are my choice, but there were of course so many more. This question can be interpreted many ways.
I’d say when referring to an individual photograph my images very much show the truth, they are very straightforward and immediate. The flash highlights all the information in the photograph in great detail and when taking a photograph I like to be very close, sharing the same space, with who I’m photographing. Every little detail is revealed in my photographs.
What is a typical day of work?
A typical day is getting on a plane to fly somewhere to photograph. Last week it was Kentucky and Texas, recently it’s been Kyoto, Japan and Dubai. It’s what I love about photography, it’s always something new. When I’m not traveling I’m researching personal shoots and handling the day to day of being a freelancer.
Could you live in another place than New York City?
With frequent travels, I haven’t felt the need to live any other place. But after NYC being home for 25 years now, a little change could be good at some point. Maybe LA, Austin, Paris, Tokyo, somewhere in Italy or Spain. Who knows…? Someplace different at some point would be fun.
The last word of the interview would be for you Brian.
Oh no. I have to think of the last thing to say .. That’s way too much pressure .. I have really enjoyed speaking, sharing my two cents worth. Photography and the experience of photographing makes for a really wonderful and very fortunate life, which I am immensely grateful.
American photographer
Lives and works in New York City
La silhouette profilée se détache sur un fond bleu et la surface de l’eau, toute proche, se laisse deviner par les rayons du soleil qui transpercent la surface. Il s’agit d’un requin bleu et l’image apparait sur le compte instagram du photographe Hamid Rad.
La photographie sous-marine s’est considérablement démocratisée tout au long de ces dix dernières années. L’allègement du matériel requis, la diminution du prix d’un caisson et la diversification des loisirs ont rendu possible cette évolution. Désormais plus accessible, le monde sous-marin n’en finit pas néanmoins d’exercer cette fascination sur les hommes. On se souvient bien entendu du roman d’aventures de Jules Verne Vingt mille lieues sous les mers ou plus récemment des émissions du Commandant Cousteau qui ont permis de mieux faire connaître le monde sous-marin et les espèces qu’il abrite.
Aujourd’hui, si l’idée d’une « planète Mer » commence à faire son chemin, on ne peut pas s’empêcher de penser que la situation écologique est assez dramatique et qu’il est important, voire primordial de regarder ces images en ayant en tête la préservation de la vie marine.
Entretien avec Hamid Rad, photographe et vidéaste basé à Paris.
Comment vous êtes-vous retrouvé à l’autre bout du monde pour étudier les espèces sous-marines ?
J’ai grandi à Nice, ce qui m’a permis d’avoir un contact avec la mer en étant très jeune. A l’âge de dix ans, je suis parti vivre à Paris où j’ai fait des études de géographie et ethnologie par la suite. Je ne voulais me tourner vers le professorat; une carrière académique ne m’intéressait pas. Vers trente ans, j’ai eu envie de me rapprocher de la mer et je suis parti faire du volontariat au Mexique où j’ai travaillé pour une ONG.
Et c’est à ce moment précis que vous commencez à faire de la photo ?
Oui, en pratiquant la plongée, j’ai eu envie de faire des images du monde sous-marin même si je n’avais aucune formation. Petit à petit, j’ai pu acheter du matériel photo de meilleure qualité. J’ai commencé au Mexique, puis je suis allé en Amérique Centrale, et dernièrement j’ai passé beaucoup de temps aux Seychelles et aux Maldives.
La photo sous-marine consiste principalement à illustrer des magazines. En général, les images sont très colorées et très éclairées, ultra saturées si vous préférez, assez difficiles à lire finalement. Et j’ai préféré suivre mon instinct, c’est à dire privilégier une image plus simple, avec des silhouettes ou deschoses plus figuratives. Je voulais que ceux qui ne sont pas familiers avec le monde sous-marin puissent reconnaître les espèces représentées.
Sur votre site Internet, on découvre une série de photos prises en Iran.
Je ne faisais pas de photo hors de l’eau à cette époque. Lorsque j’ai eu quarante ans, j’ai décidé de me rendre dans mon pays d’origine. J’avais quitté l’Iran quand j’avais un an et je n’y étais jamais retourné. Mes parents ont fui la révolution mais sont repartis vivre à Téhéran depuis. C’était certainement symbolique pour moi. C’est un pays magnifique, assez mystérieux. J’ai eu envie de prendre en photo ce que j’avais sous les yeux, et faire des portraits principalement. Au début, c’était assez difficile : il y a le regard des gens. Et puis je ne voulais pas être intrusif ou voyeuriste.
Vous utilisez le même appareil, qu’il s’agisse des photos sous-marines ou en extérieur ?
Oui. J’ai un Canon 5 D. C’est un appareil très pratique, qui permet de faire des grands tirages. J’utilise l’objectif fisheye qui permet d’avoir un angle très large.
Quelles sont selon vous les qualités requises pour faire de la photo sous-marine ?
Plus on descend en profondeur, plus les couleurs disparaissent. Donc il faut de la lumière pour éclairer sous l’eau mais en prenant garde à ne pas surexposer. C’est assez complexe et puis il y a énormément de particules qui scintillent. Une photo sous-marine n’a rien de spontané ! (rires). Outre les compétences techniques, qui sont indispensables en photo sous-marine, je pense qu’il faut avoir l’œil tout simplement. Je suis captivé par les formes simples comme les silhouettes de poissons ou ce genre de choses. C’est pour cette raison que j’aime beaucoup le noir et blanc. C’est plus graphique, ça fait appel à notre imagination. Le travail de Nick Brandt m’a inspiré, sans aucun doute : ses photos en noir et blanc de lions dans la savane. Rien à voir avec ce qu’on trouve dans les pages de National Geographic – qui sont de très belles images par ailleurs.
Il faut également essayer de ne pas effrayer les espèces…
Effectivement. Il faut prendre le temps d’observer, rester calme, comprendre son environnement. Il y
a un aspect très aléatoire dans la photo sous-marine.
Vous avez plongé avec des requins. Est-ce que vous avez déjà eu peur sous l’eau ?
Pas vraiment. Au-delà du plaisir que j’éprouve en faisant ces images, je me suis rendu compte que ces animaux sont éphémères. Nous sommes certainement l’une des dernières générations à pouvoir observer des espèces telles que les raies manta, les requins baleines, qui deviennent de plus en plus rares. Pour moi, c’est une façon de témoigner. Le requin est un bon exemple puisqu’il est constamment menacé. La perception des gens commence à peine à changer. On ne le voit plus nécessairement comme un animal dangereux ou comme une menace qu’il faut éliminer. C’est un animal assez timide en réalité. Mais pour répondre à votre question, je ne me suis jamais senti menacé par un animal en étant sous l’eau.
Que pensez-vous de la démocratisation de la photo sous-marine ?
Plus de gens, cela signifie plus de menaces sur l’environnement. Mais cela me semble important que les gens aient accès à ce monde pour le comprendre et le respecter davantage.
En ce qui concerne la photo sous-marine à proprement parler, cela ne veut pas dire qu’il y aura davantage de meilleures photos. Au contraire, on voit toujours les mêmes images ultra saturées. Je me suis désabonné de certaines pages Facebook dédiées à la photo sous-marine parce que j’en avais assez de voir des images de tortues au loin avec la main d’un plongeur au premier plan.
Faut-il être un plongeur aguerri pour pouvoir vous suivre ?
Le premier niveau permet de descendre à dix-huit mètres et c’est largement suffisant pour observer les poissons ou le corail. La plupart de mes photos sont prises entre zéro et vingt mètres environ où la luminosité est idéale pour permettre une grande diversité d’espèces.
C’est vraiment la découverte d’un nouveau monde, en trois dimensions, un environnement dans lequel on est contraint de se déplacer moins vite, on respire plus lentement. Pour moi, le monde sous-marin est le dernier lieu sauvage car rien ne rappelle l’humain. C’est magique.
On parle de “monde du silence”. Il n’y a vraiment aucun son ?
Nous ne les percevons pas mais il y a beaucoup de bruits sous la surface de l’eau en réalité. Les poissons coraliens par exemple émettent des sons pour se repérer, une sorte de brouhaha qui est à peine perceptible. Donc ça reste un monde du silence relatif pour nous humains.
Quel spectacle vous a le plus émerveillé ?
Il y a un archipel en Indonésie qui s’appelle Raja Ampat, un triangle coralien avec une diversité d’espèces sous-marines absolument incroyable. Imaginez un ballet permanent de poissons colorés.
Complètement enivrant… Je tremblais tellement j’étais émerveillé !
On a beaucoup parlé de Yan Morvan aux dernières Rencontres de la Photographie d’Arles. Il y présentait les Champs de Bataille. Un travail entamé en 2004 pour lequel il a parcouru le monde muni de son trépied et de sa Deardoff 20x25cm à la recherche des lieux où s’est déroulé un conflit armé ou une guerre. De Verdun au Mexique, en passant par l’Espagne et les Etats-Unis, il a rassemblé 430 images qui ont la particularité d’évoquer la guerre sans la montrer de manière frontale. Son travail invite plutôt à une réflexion plus globale sur l’Histoire.
Comment le présenter ? Photoreporter de guerre serait trop réducteur.
Il s’intéresse au chaos, à la violence, qu’elle soit manifeste ou juste suggérée. La série Blousons noirs avait choqué au moment de sa publication. Le sentiment de transgression est véhiculé par les photos de ces loubards en noir et blanc prises à la volée, dans l’action.
Il y a du Danny Lyon chez Morvan, car tout comme le photographe américain, il prend le temps de suivre ceux qu’il documente. Il en fait l’expérience. Il a passé près de trois ans avec ces bandes de rockers marginaux et les Hell’s Angels. Le résultat est époustouflant.
Je retrouve Yan Morvan à une terrasse du Marais, non loin de la galerie Thierry Marlat où est exposée la série de photos en noir et blanc sur les blousons noirs.
Le livre sur les blousons noirs sort prochainement.
J’ai déjà publié trois livres. Le premier s’appelait Le Cuir et le Baston, au moment où je suivais toutes ces bandes. C’était un livre de textes incluant un cahier de photos de seize pages; à l’époque l’édition de livres de photos était assez rare en France. Ensuite j’ai publié un deuxième livre, Gang, qui documentait les années 75 à 95. Le point d’orgue de l’ouvrage était mon enlèvement par Guy Georges. Et enfin Gangs Story. L’histoire de ces bandes est indissociable des vagues d’immigration en France.
La page Wikipédia qui vous est consacrée vous présente comme un photojournaliste de guerre.
On dit “Yan Morvan est sulfureux”. Je suis un peu comme un Pygmalion, chaque journaliste a tendance à me mettre dans une catégorie : ça va de l’intellectuel cynique au va-t-en guerre. Donc tout ça est très relatif puisque cela dépend de la personne que j’ai en face de moi. On a écrit que j’avais pris des balles, ce n’est pas le cas; je n’ai jamais été blessé.
Après la sortie des Champs de Bataille, qui m’a apporté une certaine notoriété, j’ai eu envie de faire quelque chose de plus personnel. Blousons noirs tel qu’il sort aujourd’hui est ce que j’avais en tête il y a quarante ans. Ce n’est pas un livre sur les gangs à proprement parler mais c’est un travail politique sur la fracture sociale de la société.
C’est un travail qui traite du déracinement.
Tout à fait. J’avais vingt ans, j’étudiais à la fac de Vincennes. Dans les années 70, les journaux ne publiaient pas de reportages sur le prolétariat. Je documentais un phénomène que personne ne comprenait à l’époque. Ces gens étaient en rupture avec la société, ils n’avaient pas fréquenté les bancs de l’école, ils portaient des croix gammées pour faire chier le monde. Ils allaient chercher des symboles de toute puissance sans en connaître la signification. C’est un comportement typique chez ceux qui sont en perte de repères. N’oubliez pas qu’à l’époque, la photographie sociale ne s’intéresse qu’au monde ouvrier et aux manifestations. Mais ce n’était pas du tout mon truc.
Parlez-moi de vos débuts.
J’ai étudié les maths mais je voulais faire du cinéma. L’un de mes profs m’a mis en contact avec le journal Libération et je me suis retrouvé à faire des photos pour eux. Donc j’ai fait de la presse pour gagner ma vie. J’ai documenté la guerre pendant longtemps, ça ne me dérangeait pas. Et finalement, la photo me convient mieux. Certains vont hurler mais la photo est plus complexe que le cinéma d’une certaine manière. Une photo doit rassembler toute une histoire en une seule image.
Alors que le cinéma déroule l’histoire… Je présume que vous avez appris la photo par vous-même ?
Les écoles de photo n’existaient pas à l’époque. J’ai tout fait à l’instinct, sans être “pollué”. Je n’avais rien vu avant. Il y a des images dans les blousons noirs qui sont d’une violence et d’une spontanéité que je ne retrouverai probablement jamais.
J’ai entendu dire qu’il y a une histoire de bague à l’origine de votre incursion chez les blousons noirs…
C’était en juin 75. Je vendais des bagues sur la place du Tertre à Montmartre et j’ai croisé ce gars tout maigre avec son Perfecto en simili cuir et ses badges. Je l’ai suivi un moment avant d’oser l’aborder. Il accepte de poser et c’est le début d’une aventure chez les blousons noirs qui va durer trois ans. La grande majorité d’entre eux est issue de l’immigration. Ils vivent en périphérie chez leurs parents et se retrouvent le samedi soir pour une virée sur les Champs-Elysées ou dans un bar. Ils sont dans un état de révolte permanent, armés d’une simple chaîne de vélo ou d’un cran d’arrêt.
J’ai l’impression que votre travail porte sur la violence : elle est présente en filigrane sans être montrée de manière manifeste.
C’est difficile de vous répondre. En tout cas, la question que je me pose c’est “pourquoi je fais ça ?”. Pour moi, le monde est un chaos et l’homme est un loup pour l’homme. Les gens ne s’en rendent pas compte parce qu’ils sont préservés dans leur vie quotidienne.
J’ai été condamné à mort deux fois. Mais je suis toujours là !
Vous êtes un inconditionnel de l’argentique.
Oui, depuis toujours. J’ai quelques appareils numériques mais je l’utilise comme des gadgets. Les blousons noirs ont été faits au Leica en noir et blanc. Nous avons rassemblé toutes mes planches contact pour le livre. Et pour l’exposition à la galerie, nous avons utilisé un procédé de tirage assez inédit. La subligraphie est une technique de reproduction d’images de très haute qualité sur des matériaux durs recouverts d’un vernis polyester. L’impact visuel est saisissant.
Merci à Thierry Marlat (Galerie Thierry Marlat), Pierre Fourniaud (la Manufacture de livres) et Yan Morvan
Toutes les images sont reproduites avec l’aimable autorisation de Yan Morvan