Pleix

Posted: April 15th, 2013 | Author: | Filed under: interviews | Tags: , , | No Comments »

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 Birds, montage, 2006

 De quelle façon le collectif Pleix est-il né ?

L’origine de Pleix c’est sept personnes, issues entre autres du graphisme, de la post prod et de la musique électronique. Avant de créer le collectif, six d’entre nous travaillaient pour Kuntzel & Deygas, un couple de réalisateurs français. Nous étions au sein d’un studio, chacun était très indépendant mais l’ambiance ressemblait assez à celle d’une maison : très conviviale, avec des grands repas qu’on organisait ensemble régulièrement. Tout le monde était énormément impliqué, et comme Kuntzel et Deygas sont des gens passionnés par ce qu’ils font, toute l’équipe travaillait beaucoup. Il y avait un grand respect de part et d’autre et une très bonne entente.

Au sein des membres de Pleix, il y a dès le départ des compétences différentes. Certains sont très bons en 3D, d’autres en 2D, en graphisme, en design, en musique, en montage… Assez rapidement, on s’est dit qu’on pourrait peut-être faire nos propres films. C’était l’impulsion de départ. On voulait surtout s’investir sur nos projets en s’amusant.

Il faut préciser qu’à ce moment, aucun d’entre nous n’avait prévu ou anticipé ce que Pleix allait devenir. On s’est lancé, sans aucun plan de carrière.

Aux débuts de Pleix, Internet – qui existe depuis quelques années seulement – est d’une certaine manière votre studio.

On travaillait sans studio, pour des raisons financières essentiellement. Au départ, on ne gagnait pas d’argent avec nos films. On a utilisé Internet pour diffuser nos films, ça nous paraissait une évidence – on est alors au début des années 2000. On a fait un site, on a mis nos films en accès libre dès qu’ils étaient montés. Tout ceci peut sembler étrange aujourd’hui mais ça ne l’était pas il y a douze ans, dans ce contexte où on n’avait pas l’impression qu’Internet était saturé. C’est vraiment grâce à Internet et à son caractère viral que notre travail a été diffusé largement.

Et dès le départ, il n’y a pas la volonté de créer une agence ? 

C’est pas à pas que nous avons créé Pleix. On a trouvé ce nom assez rapidement, lors d’un bon repas comme on a l’habitude d’en faire. On aimait l’idée que le mot “Pleix” ne veuille rien dire, et on aimait également sa graphie.

Quelques années plus tard, on a appris que “Pleix” était une anagramme du mot “pixel”, ce qui est assez drôle car on ne le savait pas au moment où on a choisi ce nom.

Rester anonymes, c’est important ?

Dès le départ on a souhaité rester dans l’anonymat. Ça ne nous intéressait pas de mettre quelqu’un en avant plus que les autres. C’est peut-être une question liée à notre génération et le fait d’avoir travaillé pour d’autres auparavant. Car on s’était rendu compte que la fait d’avoir des leaders ou une hiérarchie peut parfois engendrer des écueils.

Il faut bien garder à l’esprit qu’on ne savait pas ce que Pleix allait donner. On essayait de faire des choses, on expérimentait, y compris sur la question du fonctionnement du groupe.

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Beauty Kit, film, 2001

 Racontez-moi les débuts.

Nos premiers films, comme Beauty Kit ou Simone ont été largement diffusés sur le net. On était les premiers surpris de voir l’engouement du public. Ensuite, des festivals et des musées à l’étranger nous ont contactés pour les montrer. Les deux premières années ont été un peu difficiles : on ne gagnait quasiment rien avec Pleix, on continuait  donc à travailler pour d’autres.

A un moment donné, on s’est réunis pour discuter tous ensemble de l’orientation qu’on voulait donner à Pleix et on était tous d’accord. Tout le monde avait envie de porter ce projet et de parvenir à en vivre. On s’est donc donné les moyens, c’était “do it yourself“.

A l’occasion d’un concours lancé par Creative Review et Warp, qui proposait au vainqueur la possibilité de réaliser un clip pour Warp, on a réalisé Itsu, un film qui met en scène des cochons et qui est d’une certaine manière une critique de la société de consommation. Ça nous a fait connaître auprès d’un public plus large et également auprès du monde de la publicité. Car peu de temps après, Saatchi & Saatchi ont montré notre film pendant l’édition des Lions qui se tient à Cannes tous les ans au mois de juin. Et nous ne le savions même pas ! C’est à partir de ce moment précis que des agences de pub nous ont approchés pour réaliser des publicités.

Nous sommes des travailleurs de l’image, donc on ne fait pas de différence entre un projet pour une marque ou pour un clip. On y prend le même plaisir. Ce qui change, ce sont les conditions de travail, les budgets ou les contraintes.

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 Simone, film, 2002

Aujourd’hui vous continuez à travailler sans studio. C’est donc par choix ?

Oui. Mais ça nous arrive parfois, pour des projets spécifiques. La plupart du temps, on travaille en binôme mais ce n’est pas une règle. Quand le temps de production est très réduit, on peut également travailler tous les sept ensemble.

Si on continue à travailler sans studio aujourd’hui, c’est aussi parce qu’on part souvent en tournage à l’étranger pendant plusieurs mois et on travaille sur place, y compris pour la postprod.

Et chaque projet est signé Pleix.

Oui, depuis douze ans et nous sommes toujours les mêmes sept personnes.

J’ai dit auparavant qu’il n’y avait pas de règles dans le collectif, mais ça c’en est une, signer sous le nom Pleix et ne jamais dire qui fait quoi.

On nous pose souvent la question des problèmes d’égo qui peuvent mettre fin à des collectifs, cette règle apporte peut-être la solution ?

Car on peut se dire qu’un collectif porte sa propre fin en soi, de par sa constitution plurielle.

Oui. Et Pleix fait figure d’exception on dirait.

Si personne ne souhaite voler de ses propres ailes après douze ans, c’est sans doute parce que cette liberté existe depuis le début.

C’est vrai qu’on nous pose souvent la question : “Pourquoi ça dure ?

Et c’est difficile pour nous d’y répondre. L’une des raisons pour lesquelles on n’a pas splité, c’est tout d’abord l’amitié et le respect qui existent entre nous. Il y a aussi l’indépendance et la liberté, comme tu l’as dit. Et également le fait qu’on ait jamais eu de studio, ni d’entreprise. Car à la différence de beaucoup de collectifs qui montent une entreprise très rapidement, on ne l’a jamais fait.

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 Amnesty, publicité, 2010

Vous arrive-t-il de vendre certaines de vos pièces ?

Aux débuts de Pleix, on a été approchés dans ce sens. On a refusé car lorsqu’on faisait une vidéo, on la mettait sur Internet pour qu’elle soit en accès libre.

Depuis, on est un peu revenu sur nos principes et aujourd’hui c’est possible, surtout dans un contexte artistique.

D’autant que les deux ne sont pas antinomiques.

Oui. Mais nous n’oublions pas que notre médium c’est la vidéo, qui peut être dupliqué à souhait. Ca a toujours engendré un questionnement de notre part car on ne peut pas vendre une vidéo comme une pièce unique. A priori, lorsqu’on sort une vidéo, on se demande surtout comment on va pouvoir la mettre en scène, via une installation ou la manière dont elle pourrait être exposée.

Comment vous positionnez-vous par rapport à ce que l’on nomme l’art numérique ?

A nos débuts, le monde de l’art en France n’appréciait pas trop notre travail, ne sachant pas où nous situer.

Mais globalement, lorsqu’on nous sollicite pour une exposition, comme Jérôme Delormas (NDLR : Directeur de la Gaîté Lyrique) qui nous a proposé des projets à trois reprises (expo à la Ferme du Buisson en 2004, Nuit Blanche en 2007 et 2062 à la Gaîté en 2012), il n’y a pas de label “art numérique”. Mais ça demande une ouverture d’esprit, et une croyance que différentes pratiques coexistent au sein de ce qu’on appelle l’art contemporain.

Lorsque le Palais de Tokyo a ouvert, il y a dix ans, on s’attendait à ce que le lieu programme des choses un peu transversales, défriche un peu plus d’artistes multimédia, mais il n’est jamais trop tard.

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 Audi Letters, publicité, 2007

Vous multipliez les champs d’action : clips, expositions, publicité.

C’est la publicité qui nous permet de vivre et de financer d’autres projets mais depuis quelques années, le monde de la pub a beaucoup changé. Il y a moins de budget, mais de notre point de vue, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. On constate qu’il y a moins de projets, et moins de projets intéressants aussi. On est assez sélectifs, on refuse beaucoup de projets. On préfère sélectionner des pubs avec une vraie vision.

Vous intervenez régulièrement lors de conférences en France et à l’étranger. C’est important pour vous de parler de votre travail ?

On intervient souvent dans des écoles ou des facultés, des festivals aussi pour donner à voir aux étudiants, au public d’autres réalités. Aujourd’hui, grâce à la démocratisation des outils informatiques, on peut faire un film de grande qualité chez soi – ce n’était pas le cas il y a plus de quinze ans. Donc oui, lorsqu’on intervient dans une conférence, on essaie d’encourager les étudiants au maximum à faire leurs propres projets. On leur dit aussi que pour y arriver, il faut beaucoup de travail. Les premiers films de Pleix nous prenaient des mois par exemple.

Vous travaillez comment aujourd’hui ?

La plupart d’entre nous étaient sur PC au début, pour des raisons financières. Maintenant, on utilise les deux : Mac et PC. On travaille sur des logiciels assez basiques : Adobe (Photoshop, Illustrator, pour le montage Final cut etc…)

Dernièrement, on expérimente des installations interactives, comme à la Gaîté Lyrique en 2012, nous nous sommes donc mis à la programmation. Cela nous plaît énormément et ouvre d’autres horizons.

Quelle est la touche de Pleix ?

Peut-être que c’est au public de le dire…

Nos films sont assez variés mais c’est vrai qu’on y retrouve peut-être un certain regard sur la société de consommation, traité avec humour la plupart du temps, ou même de manière un peu grinçante.

Comme tu l’as dit au début de l’entretien, Pleix est composé d’entités qui se sont regroupées. Donc plus qu’un style, la touche de Pleix c’est le groupe lui-même.

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Paradise Pleix, vue d’exposition, 2012

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

L’exposition 2062 à la Gaîté Lyrique nous a fait du bien. C’est vrai que nos projets en pub nous prennent beaucoup de temps et d’énergie. Et on n’a pas toujours le temps de s’investir comme on le voudrait sur des projets d’exposition.

Quand on nous a proposé d’investir tout le niveau inférieur de la Gaîté Lyrique, environ 800 m2 environ, on était un peu effrayés ! On s’est tous mis d’accord pour mettre entre parenthèses la pub pour s’y consacrer à fond. On a cherché à créer des installations avec nos vidéos, occuper l’espace et expérimenter cette interactivité dont nous parlions tout à l’heure.

L’expérience a été concluante car certaines de ces installations ont été montrées à Amsterdam, Berlin et la plupart de ces travaux ont eu droit à une exposition à Eindhoven dans la galerie MU durant plus de deux mois, elle s’est terminée en Janvier 2013. L’expo s’appelait Paradise Pleix !

En ce moment deux de ces installations sont également montrées au festival Mon oeil jusqu’au mois de Mai à Viry Chatillon.

L’actualité de Pleix c’est aussi un nouveau clip que nous terminons dans quelques jours pour les musiciens Discodéine. La vidéo sera donc sur notre site à la fin du mois d’avril…

Toutes les images : courtesy de Pleix

http://www.pleix.net/

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 Astral Body Church, installation, 2007