Olivier Metzger
Posted: August 28th, 2012 | Author: Adeline Wessang | Filed under: interviews | Tags: Galerie Bertrand Grimont, Olivier Metzger, photographie, Rencontres d'Arles | No Comments »Gala, série Smile Forever, 2012, (modèle Tanya Drouginska)
Smile Forever, série montrée aux Rencontres d’Arles cette année, met en scène un personnage unique : une femme d’âge mûr. Vos photos montrent la plupart du temps des sujets isolés, qu’il s’agisse de personnages, d’animaux ou d’objets. Je me demandais ce qui conditionnait ce choix.
Oui, c’est vrai que j’aime bien être assez direct et avoir un référent dans l’image et le désigner par la lumière. J’emploie toujours une lumière dirigée sur le sujet qui est isolé, comme enrobé dans le noir – car je fais beaucoup de photos la nuit. J’aime bien cette construction minimale également, et le fait de sculpter la lumière sur le sujet favorise ce découpage du personnage ou de la figure sur le fond.
Cette femme semble contempler sa jeunesse passée mais la série montre également la beauté de cette femme, elle la révèle au spectateur. Il y a en filigrane la notion du corps, n’est-ce-pas ?
Je voulais montrer cette beauté intemporelle. Elle a été mannequin dans sa jeunesse et l’est toujours pour des marques prestigieuses avec beaucoup de talent, elle est également comédienne et souhaite vraiment devenir une grande actrice. D’ailleurs, j’ai été bluffé par son sens de l’improvisation sur les prises de vue, elle fut extraordinaire. De mon côté, je voulais faire une série sur le thème du corps depuis longtemps. J’avais déjà approché des cascadeurs ou des gens qui gagnent leur vie grâce à leur corps. Lorsque j’ai croisé le regard de Tanya Drouginska, je me suis dit que c’était le modèle parfait pour ce que j’avais en tête : une beauté intemporelle et les années qui semblent glisser sur elle.
Est ce qu’il y a aussi, au delà du rapport au corps, un rapport à la sculpture ?
Oui, c’est certain. Cela dit, ce ce qui concerne ce travail, je parlerais plus d’enveloppe que de sculpture.
Souvenirs, série Smile Forever, 2012
Comment se sont déroulées les prises de vue ?
Les prises de vue se sont déroulées en plusieurs temps, en fonction de nos emplois du temps respectifs. J’ai commencé à faire des prises de vue non loin de chez moi avec elle dans des lieux que j’avais repérés. On a essayé de faire des images dans des environnements qui nous étaient familiers à tous les deux pour nourrir la fiction et faire exister ce personnage que je voulais intriguant au départ. De mon côte, j’ai sélectionné les différents lieux en fonction de leurs qualités plastiques. L’ensemble est donc mis en scène et mélange réalité et fiction, afin de brouiller les pistes. En tout cas, il ne s’agissait pas de construire un récit mais bien de construire un univers, des ambiances qui flirtent avec le cinéma.
Toutes les images de la série sont liées à cette femme de manière manifeste, excepté le paysage de montagne. Pourquoi avoir choisi de montrer cette image ?
J’avais envie qu’il y ait des contrepoints. Cette image de montagne incite le spectateur à s’interroger. On ne sait pas si c’est un endroit qu’elle connait, ou qu’elle a connu auparavant. Est-ce-qu’un drame s’est déroulé la-bas ? Ce paysage de montagne apparait deux fois dans l’exposition présentée aux Rencontres d’Arles et mon idée était de créer une filiation entre les images ou elle apparait et la montagne, ouvrir par ces occasions le cadre sur des vues moins concentriques. A Partir de fragments d’histoires et de mon vécu personnel, j’ai décidé d’intégrer ces paysages, dans l’objectif de prolonger le récit et d’apporter des ramifications inattendues. Et il me semblait que ces images s’intégraient bien au reste de la série d’un point de vue plastique pour faire sens.
Bergenzelwaldes (panorama), 2011
Dans les séries Smile Forever et Nightshot, l’utilisation de la lumière artificielle, le traitement de la couleur ainsi que les postures des personnages, rappellent le cinéma – David Lynch par exemple – ou encore les photographes de la scène américaine, tels que Jeff Wall ou William Eggleston.
Des photographes comme Jeff Wall ou William Eggleston m’ont marqué, c’est évident. Eggleston pour la couleur, l’intérêt pour le vernaculaire, et Jeff Wall pour la gestuelle, les personnages placés dans des décors qui sont parfaitement mis en scène. Donc il est possible que je traîne avec moi un bagage référentiel.
Mais je fais les choses de manière assez intuitive, je ne pense pas à ces références lorsque je fais des photos.
Le cinéma m’intéresse beaucoup : des réalisateurs comme Harmony Korine ou Wim Wenders, mais aussi les cinéastes qui ont traité le road movie. Il y aussi des artistes contemporains : Jenny Holzer, le photographe Philip-Lorca diCorcia. Je les considère un peu comme des repères, dans la mesure où j’ai été saisi lorsque j’ai découvert leur travail. J’aime aussi le cinéma de Bruno Dumont pour ses plans très photographiques. Mon champ référentiel est vaste et je peux aussi être touché par une image que je découvre dans la presse ou une image de mode dans un féminin que je feuillette dans une salle d’attente, mais aussi par un objet ou une architecture quelconque.
Sur la couverture du dernier numéro de Focus Magazine – avec lequel vous collaborez notamment pour la réalisation des couvertures – on voit deux garçons aux cheveux roux en train de se baigner dans l’océan. L’image est baignée de lumière et la picturalité de l’ensemble pourrait faire penser à de la peinture. Ce travail récent marque-t-il un tournant dans votre pratique ?
J’ai réalisé cette image dans le cadre d’une commande passée par le Comité départemental du tourisme et MyProvence Festival, qui travaille avec Uzik. J’ai fait une série sur Marseille et ses environs en travaillant de jour avec très peu de lumière. J’avais envie de me débarrasser des choses encombrantes comme mes générateurs flash, les pieds, les projecteurs etc. Et donc ces images sont beaucoup moins élaborées d’un point de vue technique mais j’y ai trouvé mon compte pour me reconcilier avec une photographie que je pratiquais il n’y a pas si longtemps que ça… Je souhaite revenir à des choses plus simples, prises sur le vif, et qui ne nécessitent pas forcément toute une mise en scène : un morceau de paysage peut me suffire par exemple. C’est vrai que la photo que vous mentionnez fait partie d’une série pour laquelle j’ai mis de côté le traitement de la lumière dans l’obscurité pour basculer vers des images diurnes. Il m’arrive d’utiliser du flash de jour pour figer des scènes mais en n’utilisant qu’une source, fixée sur l’appareil.
La série d’images produites pour Le Voyage à Nantes montre différents lieux qui ne sont pas nécessairement les endroits les plus emblématiques de la ville, mais qui témoignent d’un séjour prolongé. Comment avez-vous travaillé pour cette série ?
L’équipe du Voyage à Nantes a fait appel à moi pour avoir des photos de nuit, ce qui m’a donné une ligne directrice dès le départ. La nuit, la ville ne se montre pas de la même manière, le paysage est souligné de façon différente avec la lumière artificielle entre autre. Je leur ai dit que je ne comptais pas prendre en photo le château car je ne voulais pas obtenir une écriture photographique qui soit médiévale ou proche du fantastique. Au contraire, je voulais montrer des lieux qui soient identifiables, mais pas trop connotés, comme ce bâtiment d’architecte sur l’île de Nantes (le bâtiment Manny) ou la Tour Bretagne. Donc on a trouvé un bon compromis. L’équipe de Jean Blaise a adhéré à mes propositions. Mon regard plus transversal sur la ville les a intéressé.
Je suis allé à Nantes à deux reprises pendant une semaine. Un Nantais m’assistait et se promenait avec moi en voiture. J’ai adoré ce projet, qui s’est vraiment construit au jour le jour. C’est le casting qui a été le plus compliqué finalement : trouver des gens disponibles. J’avais envie d’un regard sur la ville un peu rétro, presque un peu daté.
L’affiche est la seule image pour laquelle il y avait un vrai cahier des charges. Elle a été réalisée après la série. On m’a présenté un croquis : le van et les personnages qui le conduisent et la grue de l’île de Nantes visible en arrière plan. C’est aussi la seule image qui ne relève pas d’une déambulation dans la ville mais d’une demande formelle.
Image extraite d’une campagne pour Adidas, 2010
Des marques vous sollicitent pour participer à la création de leur identité visuelle. Si les images commerciales, en règle générale, instaurent une distance entre le spectateur et le sujet, vos photographies, quant à elles, évoquent un rapport qui serait presque de l’ordre de l’intime. Comment abordez-vous une commande pour une marque ?
En général il y a des balises, avec une demande assez précise de la part de la marque, qu’il s’agisse de la visibilité du produit ou du personnage mis en avant. La marge de liberté qui m’est accordée n’est pas énorme car c’est le client qui décide du cadrage, du format etc. De mon côté, j’essaie toujours de proposer des variantes. Avec Adidas, on a travaillé de façon assez habile : ils m’ont laissé libre sur le plan artistique par exemple.
En 2011 s’est tenue à la Fondation d’entreprise Hermès l’exposition intitulée We Came Along this Road, qui rassemblait un ensemble de vos photographies. Comment s’articule ce type d’exposition commissionnée par une grande marque ?
Je n’ai senti aucune pression de la part d’Hermès, bien au contraire, l’organisation et les conditions étaient “royales”. J’ai eu carte blanche, de la production des photos jusqu’à l’accrochage à la Fondation. Je n’ai pas senti de différence entre une exposition au sein d’un grand groupe comme Hermès et une institution publique.
Brick, série Nightshot, 2009
Vous êtes sorti diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie en 2004, après avoir suivi un cursus totalement différent puisque vous avez exercé en tant qu’infirmier en milieu hospitalier. Pouvez-vous revenir sur votre parcours et évoquer ce changement concernant votre orientation professionnelle ?
J’avais vint-six ans, je travaillais depuis cinq ans dans une unité de soins et je faisais de la photo depuis mon adolescence. Je me suis dit qu’il fallait que je me lance, j’avais vraiment envie de faire une école de photographie et l’Ecole d’Arles offrait la possibilité de ne faire que ça pendant trois ans. A ce moment là, je n’excluais pas du tout le fait de revenir travailler à l’hôpital après l’Ecole car j’aimais bien mon métier : le rapport avec les patients, le fait de travailler en équipe etc. J’ai donc passé le concours d’entrée pour l’Ecole d’Arles, tout en sachant qu’il y avait plusieurs centaines de candidats pour seulement vingt-cinq places. Je n’y croyais pas trop et finalement j’ai été reçu. J’étais ravi. Je me suis énormément investi à l’Ecole, d’ailleurs, je ne considérais pas ça comme du travail. L’Ecole restant ouverte jusqu’à 23h, je restais le soir pour pouvoir utiliser les outils qui étaient à notre disposition.
Vous êtes basé en Arles. La galerie qui vous représente, Bertrand Grimont, est à Paris. Que pensez-vous des différences entre Paris et la province en ce qui concerne les projets ?
Je travaille de plus en plus avec Air France Magazine, ce qui m’amène à voyager dans le monde entier pour traiter des sujets sur le mode du reportage en quelque sorte. Je dois ramener des images pour illustrer des destinations. Je passe aussi du temps à Paris et parfois à Marseille. Mais c’est vrai que j’ai très peu de réalisations dans la région d’Arles. Lorsque c’est le cas, c’est pour la presse : des sujets pour Libération, Le Monde ou Télérama. S’il y a un portrait à réaliser dans la région, ils me contactent.
J’ai la chance d’avoir Bertrand Grimont qui me représente à Paris. Si Air France Magazine a fait appel à moi, c’est parce que le directeur artistique du magazine a vu deux de mes photos sur la stand de la galerie pendant la Fiac. Il faut savoir que je n’ai jamais démarché, c’est une chance car j’ai acquis une visibilité qui m’apporte du travail et des projets et cela depuis ma sortie de l’école.
A quoi ressemble une journée type de travail ?
Il n’y a pas de journée type. La plupart du temps, ça commence par des mails, une demande puis des coups de fil. Ensuite se pose la question des éventuels repérages, un échange d’images, le déplacement pour la prise de vue et enfin le travail de postproduction. Lorsque je travaille pour une grosse firme, il y a souvent un budget pour la postproducion, et lorsque ce n’est pas le cas, c’est moi qui le fait. J’aime bien faire ce travail là moi-même : les retouches, la postproduction numérique etc. Je préfère avoir la mainmise sur cette étape finale. J’ai remarqué qu’au fil des années, la prise de vue est un temps qui devient de plus en plus court, même si elle reste primordiale. C’est surtout l’avant et l’après qui prennent le plus de temps, le temps de travail s’est déplacé avec l’utilisation du numérique. En ce qui me concerne, je m’efforce d’intervenir de moins en moins dans mes photos, c’est-à-dire d’être de plus en plus “propre” à la prise de vue. C’est aussi une manière de gagner du temps lorsque les commandes s’enchaînent…
Quel type d’appareil utilisez-vous ?
Depuis la sortie de l’école en 2004, je travaille exclusivement en numérique. J’avais eu une année charnière pendant laquelle j’utilisais l’argentique avec un moyen format. J’ai investi au fur et à mesure que je gagnais ma vie dans du matériel numérique – qui devient assez vite obsolète malheureusement. En ce moment je travaille avec un moyen format numérique, qui est tout aussi contraignant qu’un moyen format argentique, si ce n’est qu’on obtient une image instantanée. J’ai également un reflex numérique un peu plus rapide dont je me sers pour la presse lorsque je dois faire des portraits.
Fire, série Nightshot, 2011
Quelles sont les principales contraintes rencontrées lors des prises de vue nocturnes par exemple ?
La plupart du temps je travaille avec du matériel d’éclairage autonome, afin de poser mon cadre là où j’en ai envie : dans une forêt ou sur le bord d’une route. Ca m’évite d’avoir à me soucier d’être raccordé au réseau électrique. La contrainte se formule plutôt en terme d’autonomie parce que j’ai un nombre d’éclairs limités. Lorsqu’on travaille en flash et de nuit, on n’est pas en lumière continue et le résultat n’est pas visible immédiatement. Moi qui travaille en manuel, ce n’est pas toujours facile de faire le point lorsqu’on travaille de nuit.
A défaut d’être une contrainte, la prise de vue nocturne génère également un léger stress, il y a quelque chose d’un peu anxiogène et magique à la fois qui me stimule également.
Vous êtes seul lorsque vous travaillez la nuit ?
Ca dépend. En général je suis seul. Pour la série Nightshot, je partais en voiture, sans trop savoir où j’allais en empruntant des petites routes. Je rentrais bredouille assez souvent mais la série est née comme ça.
http://www.bertrandgrimont.com
Images : Courtesy de l’artiste et de la Galerie Bertrand Grimont