Jean-Paul Goude
Posted: January 11th, 2012 | Author: Adeline Wessang | Filed under: interviews | Tags: dessin, Jean-Paul Goude, photographie | No Comments »“Enfant, je commençais par faire des dessins, puis j’en tirais des histoires.”
Jean-Paul Goude, Jungle Fever, 1983
Nul besoin d’introduire Jean-Paul Goude : un artiste complet, à la fois graphiste, illustrateur, photographe et réalisateur de films publicitaires.
En France, le public le connait surtout parce qu’il a conçu et orchestré le défilé du Bicentenaire de la Révolution française en 1989, à la demande du gouvernement. Un an de travail et plus de 8000 costumes sont nécessaires pour donner vie à cette parade décalée qui reste gravée dans les mémoires.
Auparavant, Jean-Paul Goude a fait ses armes aux Etats-Unis dans un premier temps, comme directeur artistique du magazine Esquire, qu’il quitte en 1976.
Il façonne l’image de Grace Jones dont il réalise plusieurs clips au début des années 80. Il conçoit également la mise en scène de ses spectacles, qui deviennent alors de véritables tableaux vivants.
Les films publicitaires qu’il tourne ensuite montrent à quel point l’homme est prolifique : Kodak, Perrier, Lee Cooper, Egoïste de Chanel, Coco de Chanel… Allez les voir ou les revoir :
http://www.jeanpaulgoude.com/
Depuis 2001, il est directeur artistique des Galeries Lafayette, et donc chargé, à ce titre, d’insuffler une bonne dose de mode sur les billboards de la capitale.
Il y a quelques temps, j’ai eu la chance qu’il me reçoive dans son studio parisien ; un endroit agréable, très lumineux, bordé sur un côté par une immense bibliothèque remplie de livres d’art. Jean-Paul Goude parle d’une voix posée et le ton est enjoué.
Adeline Wessang : Lorsque je me suis documentée pour préparer cet entretien, j’ai remarqué qu’il existait un certain nombre de termes pour vous qualifier : illustrateur, artisan de l’image, touche-à-tout… On dirait que les gens ne savent pas comment vous définir.
Jean-Paul Goude : Moi aussi, j’ai du mal à me définir. Le fait est que je réponds souvent à côté et que de toute façon, les journalistes ont tendance à se focaliser sur ce pourquoi je suis le plus connu : la publicité et le Bicentenaire.
S’il vous plait, pas touche-à-tout, c’est trop péjoratif, même carrément blessant parce que ça suggère une désinvolture, voire une légèreté qui ne cadrent pas avec ma façon d’appréhender le travail. S’il m’arrive de me servir de techniques très différentes les unes des autres, c’est toujours pour avancer le même point de vue.
Depuis toujours, à tort ou à raison, même bien avant d’entrer aux Arts Décoratifs, j’ai considéré que mes centres d’intérêts tels la danse, le style et les magazines conditionneraient mon parcours. J’avais une attitude d’artiste et je ne me voyais pas faire autre chose.
Les années ont passé et il a bien fallu que je gagne ma vie. Je dois mon premier contrat à un grand magasin parisien pour lequel j’avais dessiné une énorme fresque inspirée de ma bande de copains de Saint-Mandé.
lampe en néon, 1968
Il faut auparavant préciser qu’Albert Velli, un autre copain des Arts Déco et moi-même avions dessiné et réalisé une série de lampes en néon très inspirées -c’est le moins qu’on puisse dire- des sculptures en néon d’Antonakos et Kowalski. Il semble que par ailleurs, j’avais déjà retenu l’attention d’une personnalité du monde de l’art qui aurait pu changer mon destin.
En l’occurrence, François Mathey, le conservateur en chef du Musée des Arts Décoratifs qui avait entendu parler de moi et souhaitait me rencontrer.
A l’heure dite, accompagné de François Barré-qui lui succéderait bientôt- visiblement émerveillé par nos lampes, bien qu’elles ne soient que de pâles copies de sculptures bien connues, il me couvre de louanges.
Surpris et déçu qu’il se méprenne à ce point, je suggère -certes un peu maladroitement- qu’il regarde aussi mes dessins, que je considérais comme étant potentiellement plus intéressants et surtout beaucoup plus originaux que nos lampes. Je lui présente des croquis érotiques, ainsi que des annonces pour Franck et Fils, mais c’était peut-être le surestimer : en tout cas, il a trouvé ça mièvre. Le ton est monté et nous en sommes restés là. Bref, c’est à ce moment précis que j’ai eu la nette impression d’avoir perdu toute chance d’exister un jour dans le monde de l’art !
C’est beaucoup plus tard, alors que je contribuais déjà à Esquire qu’Harold Hayes, le rédacteur en chef du magazine a donc fait son entrée dans ma vie. Profitant de son séjour à Paris, où il était venu rencontrer Jean Genet, il voulait que je lui présente Jacques Prévert que je connaissais un peu, ce que j’ai fait.
L’art du graffiti, photographie peinte, Esquire, 1974
Lorsqu’on évoque Esquire, on parle de “nouveau journalisme”. Qu’avait en tête Harold Hayes?
C’est Harold qui en a pratiquement inventé le terme et quand on mentionnait les noms de Tom Wolfe, Gay Talese, Norman Mailer, voire Truman Capote, c’est à Esquire qu’on pensait immédiatement.
Quant à George Lois, le légendaire publicitaire auquel le magazine devait ses extraordinaires couvertures, il est incontestablement à l’origine du langage visuel d’aujourd’hui.
Cela dit, la concurrence qui s’annonçait de plus en plus sévère à laquelle s’ajoutaient les problèmes de ventes en kiosques, forçait Harold a constamment se remettre en question. Je crois qu’il s’était mis en tête qu’il n’y avait qu’à Paris qu’il trouverait un nouveau ton susceptible de doper les ventes d’Esquire dont Rolling Stone et PlayBoy lui volaient des parts de marché de plus en plus importantes.
Je crois qu’il cherchait une sorte de valeur ajoutée à George et à lui même; l’un contrôlait les mots, l’autre les couvertures, restait à trouver quelqu’un pour les images intérieures du magazine.
C’est là que Jean Lagarrigue et moi entrons en scène.
Donc Harold Hayes vous a choisi aussi parce que vous étiez européen et détenteur d’un savoir faire différent ?
Je pense, oui. Harold était avant tout un littéraire et il était très sensible aux métaphores. Je suppose que le style métaphorique qui nous caractérisait, Jean Lagarrigue, Charles Matton et moi-même lui convenait parfaitement. Nous contribuions tout les trois au magazine depuis plus d’un an, quand un jour, Harold me téléphone pour me demander si je ne connaitrais pas un directeur artistique. Ce à quoi je lui répond, avec mon opportunisme habituel, “si, moi”, mais sans vraiment y croire.
Deux semaines passent et il me rappelle pour m’annoncer que je suis engagé, alors que je ne connais rien ou presque à la direction artistique. Pris de panique à l’idée de travailler avec des intellectuels qui allaient tout de suite repérer mon inexpérience, j’appelle Lagarrigue pour lui demander s’il m’accompagnerait à New York pour partager mes fonctions. Il dit oui et on saute dans le premier avion.
Comme je viens de le dire, nous n’étions ni l’un ni l’autre de véritables directeurs artistiques.
Nous dessinions beaucoup, nous allions au musée; au bureau, je faisais de la sculpture dans un coin, pendant que lui dessinait de son côté. Il y avait un troisième mec, Bob Daniels qui faisait la mise en page proprement dite. Tout ça n’était pas très sérieux, mais Harold s’amusait et nous faisait confiance.
Parlons de la French correction, c’est aussi avant tout un jeu de mots ?
Qui n’est pas de moi, c’est la rédaction de Esquire qui en est l’auteur.
La French correction consiste principalement à travailler sur les proportions du corps, tout en n’étant pas du Body Art, qui était assez en vogue à l’époque.
Si ce n’était pas du Body Art à proprement parler, cela y ressemblait à sa manière. Nous avons développé le thème de la French correction sur huit pages. Deux mois plus tard, j’ai été invité par le Mike Douglas Show à m’exprimer sur le même sujet.
Vous savez, la French correction part d’un constat personnel car je suis mal foutu. Je me suis intéressé très tôt aux proportions du corps, puisque je dessine depuis que je suis enfant. Donc la correction est mon sujet de prédilection, l’a toujours été et le sera toujours.
Figure de mode, gouache, vers 1958
Je suis en train de regarder vos premiers dessins de mode, dont certains sont exposés dans la rétrospective de votre travail, Goudemalion, qui se tient au Musée des Arts Décoratifs jusqu’au 18 mars prochain.
J’ai toujours dessiné, même la mode, ou le style si vous préférez. Vers l’âge de 17 ans, la façon de s’habiller de mes copines de l’époque était pour moi une source d’inspiration constante. Je les idéalisais à travers les vêtements que je créais pour elles sur les maquettes peintes à la gouache que vous mentionnez.
Cela dit, j’étais parfaitement conscient du caractère “pas très viril” de mon activité. Et toute ma vie durant, j’aurais tout fait pour masquer cet aspect de mon travail au nom de mon hétérosexualité.
Bizarrement, j’ai appris seulement récemment que mes grand-parents paternels avaient une boutique de passementerie, située en face des Galeries Lafayette. Ce qui explique d’une certaine façon mon intérêt pour la mode; il y a une filiation, c’est certain.
Et la danse ? J’ai lu que vous vouliez être danseur. D’origine américaine, votre mère a dansé à Broadway dans de nombreux “musicals” avant d’ouvrir une école de ballet à Saint-Mandé, où vous avez grandi.
Effectivement, dans le petit monde du Broadway des années 30, ma mère comptait parmi les espoirs les plus sûrs. Elle a fait une jolie carrière, collaborant à toutes sortes de projets, notamment au Roxy Theater, avec Leonide Massine, transfuge des ballets russes de Diaghilev et José Limon, une des grandes figures de la danse contemporaine américaine. C’est à cette époque qu’elle fait la connaissance de mon père, venu à New York pour y faire fortune. Malheureusement pour lui, l’Amérique est en pleine dépression. Chômeur, il fait toutes sortes de petits boulots jusqu’à ce que, tirant profit de son physique avantageux, il trouve un job de figurant dans Flying Colors, le célèbre “musical” dont ma mère partage l’affiche avec Clifton Webb. Elle repère mon père en coulisse, ils tombent amoureux et vivent une grande histoire d’amour. Bientôt fatigué de la vie de bohème, mon père rentre en France pour se faire une situation tout en promettant à ma mère qu’il reviendrait la chercher dès qu’il aurait les moyens de le faire. Tenant parole, il revient sept ans plus tard et l’épouse dans une petite église de Broadway avant de rentrer à Paris tous les deux et de s’installer à Saint-Mandé où je suis né.
Toute mon enfance durant, j’aurai baigné à la fois dans une atmosphère artistique – certes dédiée à la danse – (ma mère avait ouvert une petite école dans le quartier) mais aussi et surtout à toute forme de créativité.
Course à pied, La mode et le sport, Elle France, 1996
Au-delà de la danse, c’est le mouvement qui vous intéresse réellement.
Pour moi, tout mouvement est danse à partir du moment où l’on cherche a maîtriser la beauté d’un geste. Il suffit de regarder la foule déambuler dans la rue : certains marchent en cadence, d’autres obéissent à un rythme qu’eux seuls entendent.
Je connais quelqu’un qui répète sa démarche devant le miroir avant de sortir. Et sa démarche varie en fonction du chapeau qu’il se met sur la tête. S’il étudie sa gestuelle, pour moi il danse.
Mes images, si elles ne montrent pas souvent la danse à proprement parler, privilégient souvent le mouvement. Le simple fait d’indiquer un mouvement pendant une prise de vue, de corriger l’image prise de ce mouvement en découpant les photos sont une forme de chorégraphie; une façon de danser sans danser.
C’est d’ailleurs le cas dans l’exposition au Musée des Arts Décoratifs, avec les danseuses russes qui déambulent au milieu des visiteurs. Parlons de Goudemalion à présent.
Je voulais m’approprier le musée, m’y installer si vous préférez, un peu comme si j’étais chez moi. D’où la présence du train mécanique comme un énorme jouet installé sur le tapis persan en plein milieu du salon, pendant qu’à droite et à gauche une succession de petites salles présenteraient des installations illustrant les différents thèmes qui ont jalonné mon parcours.
J’aimais bien l’idée de jouer le décalage entre l’architecture Second Empire un peu désuète et l’improbabilité de mon travail. J’avais aussi envie d’utiliser l’immense surface au sol du musée pour y faire évoluer les fantômes de certains de mes personnages, notamment ces danseuses russes qui semblent glisser sur le sol, et que j’avais déjà utilisées à New York pour Hermès en 2000.
J’avais envie que le spectacle soit vivant, voire théâtral, mais dans un contexte muséal, ce qui, à ma connaissance ne se pratique pas souvent.
J’entendais des visiteurs se remémorer la publicité que vous avez créée pour le chocolat Lindt, mettant en scène une danseuse qui glissait.
Oui, encore qu’on pourrait penser qu’il s’agit d’un trucage, puisque c’est un film. Vous savez, personne ne me croit quand je dis que les danseuses ne sont pas montées sur roulettes, c’est pour ça que je les encourage à se déplacer dans l’exposition en montant les escaliers, pour montrer qu’elles ont des pieds et qu’il n’y a pas de trucage.
Pour terminer avec Goudemalion, il y a une chose qui m’a frappée : l’exposition échappe au piège de la rétrospective agencée de façon purement chronologique ou purement thématique. Goudemalion raconte une histoire, ou plus exactement des histoires.
Merci de le mentionner, car il s’agit bien d’une évocation de l’histoire de Goudemalion et de ses aventures. Et justement, si j’ai décidé de reprendre le terme Goudemalion, qui m’a été donné autrefois par un célèbre philosophe, c’est parce que je voulais qu’on comprenne qu’il s’agissait d’une projection de moi-même.
Malgré les apparences, ça m’a toujours gêné de parler de moi à la première personne. Je le fais -bien sûr- surtout dans le cas d’une interview, mais je n’aime pas ça.
Goudemalion est aussi une mise au point. On m’a collé une étiquette, qui ne me dérange pas plus que ça, mais qui n’est pas toujours juste. Si je caricature, si je force le trait, si j’accepte d’être qualifié à la fois de “lutin sautillant” ou bien d'”elfe de Saint-Mandé”, il n’y a aucune raison de ne pas carrément faire de moi un personnage de fiction. D’où Goudemalion, – l’homme qui voulait transformer les femmes en statues – sa vie, son oeuvre.
Azzedine et Farida, tirage photographique découpé et ruban adhésif
Est-ce-que c’est aussi un moyen de mettre une certaine distance entre votre production et vous-même ?
Oui, absolument. Car si je parle de moi à la première personne, c’est plus difficile de forcer le trait. On risque de me traiter de menteur. Mais si c’est de Goudemalion dont il s’agit, alors je peux me permettre toutes les exagérations.
Il y a environ quinze ans, j’avais le projet de réaliser un film mettant en scène les aventures de Goudemalion. J’avais pensé à Johnny Depp pour le rôle – on peut rêver – , parce qu’il adore se grimer et qu’il est frêle, comme Goudemalion. Non seulement Johnny Depp parle couramment Français mais il comprend bien la mentalité des Français. De plus, il a, j’en suis sûr – ce qui n’est pas toujours le cas avec les Américains – le sens du second degré.
L’humour et l’appréciation du second degré est d’ailleurs l’une des différences culturelles entre les Etats-Unis et la France.
Ce que j’aime dans le premier degré américain, c’est cette façon d’aller directement à l’essentiel; surtout en ce qui concerne l’expression artistique, on à l’impression que l’artiste américain ne se sent pas obligé d’être dans le coup, ou de s’installer dans le sillage d’un mouvement artistique reconnu. C’est la culture du be yourself. Comme disait mon américaine de mère d’une façon certes un peu grandiloquente, mais à mon avis profondément juste : “l’oeuvre d’un artiste est la réflexion de son âme”.
C’est sûrement pour ça qu’au moment où j’aurais pu essayer d’exister sur la scène artistique française à travers la figuration narrative dont Arroyo, Recalcati, Martial Raysse étaient les fleurons, j’ai choisi de trouver mon ton à moi, ma propre petite musique, sans chercher à imiter qui que ce soit, et surtout pas le Pop Art qui existait déjà.
Et le Pop Art était censé faire le lien entre les images commerciales et les images issues des beaux-arts, Andy Warhol en est l’exemple le plus marquant.
C’est juste. Si Warhol était ce lien, j’avais l’impression qu’il ne renierait pas ses activités d’illustrateur passées. Peut-être se considérait-il toujours comme tel. En tout cas, je me disais qu’on pouvait se comprendre, et lorsqu’au cours d’un déjeuner avec un rédacteur d’Esquire, j’ai mentionné David Stone Martin, un célèbre illustrateur de l’époque, fortement influencé par Ben Shahn à qui Warhol avait “emprunté” la méthode du trait tremblé, j’ai senti que j’avais touché un nerf.
Quelle attitude Warhol avait-il à l’égard de votre travail ?
Je crois qu’il m’aimait bien, de loin. Il était très respectueux à l’égard d’Esquire. Je crois qu’il avait compris que je ne cherchais pas à grossir les rangs de la Factory et que je ne cherchais pas à lui faire la cour comme lui faisait déjà la moitié de New York.
Tout ce que je sais, c’est que des années plus tard, un soir au Palace à Paris, Fred Hughes son patron m’a confié qu’il disait du bien de moi.
A l’ère de la consommation immédiate des images qui nous entourent et que nous oublions aussitôt, je me demandais pourquoi vos images restent elles présentes à l’esprit, je pense notamment à la campagne que vous réalisez pour les Galeries Lafayette depuis plus de dix ans.
Peut-être parce qu’elles sont simples, graphiques, et d’une grande lisibilité. Peut être aussi parce qu’elles marient de façon convaincante le fond et la forme – chaque image étant la métaphore visuelle d’un sujet donné – et qu’elles restent conformes à l’esprit du magasin.
J’aime bien l’idée de connivence entre nos images et le public du métro ou du RER.
C’est-à-dire ?
L’idée qu’un voyageur qui voit nos images se sente interpellé, voire concerné par un sujet donné, qu’il ait envie de sourire avec nous, de prendre parti, pour ou contre nous. En tout cas, que nos images ne laissent jamais indifférent.
Les campagnes pour le magasin “Homme” sont celles qui sont les plus ardues pour moi, parce que je n’ai pas envie d’utiliser un bellâtre comme on voit partout. Je préfère utiliser un personnage dont on sait déjà quelque chose, une personnalité, voire un acteur.
Frédéric Beigbeder…
Une star des médias, oui. Ou Jun Miyake, compositeur, et trompettiste de jazz réputé. Ou encore Iggy Pop. J’avais toujours eu envie d’utiliser la French correction dans le contexte des campagnes pour les Galeries et c’est Laetitia Casta qui m’en a fourni l’occasion. Ca faisait longtemps que sa ressemblance avec Marlon Brando et/ou le jeune général Bonaparte m’intriguait et j’avais réellement envie de voir de mes yeux la tête qu’elle aurait si je la transformais en garçon. Ni moi ni le public n’avons été déçus. Elle est aussi belle en garçon qu’en fille.
Mode Homme, photo découpée, 2003
La dualité masculin – féminin est récurrente dans votre production. Vous aviez déclaré, je crois, à propos de Grace Jones, qu’elle vous paraissait plus féminine lorsque sa masculinité ressortait.
Oui et c’est bien pour ça que le personnage que j’ai créé pour elle autrefois – la Grace Jones minimale, “blue-black on black in black“, les cheveux coupés en brosse – est masculinisé à l’extrême. Car lorsqu’elle porte mini jupe, talons aiguilles, décolleté, boucles d’oreille, bref : toute la panoplie d’une certaine féminité, elle ressemble à un travesti.
Pouvez-vous m’expliquer ce que vous aviez en tête avec blue-black in black ?
J’avais envie d’en faire une héroïne, sublimer sa négritude, en faire un exemple positif d’une grande dignité, sans les artifices habituels utilisés par les artistes noirs du show business. J’aurais rêvé qu’elle soit une référence planétaire, qu’on s’en souvienne pendant des siècles. Je ne plaisante pas !
Grace Jones est d’origine jamaïcaine, donc elle parle l’Anglais des Anglais, comme une institutrice jamaïcaine. C’est pour ça qu’à contrario des chanteurs de son époque qui se donnaient un mal fou à mettre en avant leur côté ghetto, à coups de profanités lancées à tout bout de champ ou de grands sourires forcés pour rassurer les blancs, je lui demandais de s’adresser à son public sur le ton qu’utiliserait cette institutrice jamaïcaine pour dominer ses élèves. Ca me paraissait plus intéressant.
Demolition Man, photo peinte, 1982
Vous travaillez essentiellement avec les trois couleurs primaires.
Oui, c’est vrai. Je ne suis pas un coloriste obsessionnel. La couleur est présente pour donner un petit accent, c’est tout. L’ombre et la lumière m’intéressent davantage, la matière aussi. Ce dessin par exemple (il désigne un grand dessin encadré posé à même le sol) est un pastel pratiquement monochrome dont le fond blanc pur a été entièrement réalisé avec du scotch. C’est la matière de la surface scotchée qui m’intéresse, son côté marqueterie.
Dernière question : vous collectionnez ?
Non, à part une réédition d’une lampe de Pierre Chareau et quelques dessins de Neke Carson achetés dans les années 70, je n’ai pas de collection à proprement parler. J’aimais bien le travail de Neke, parce qu’il est le premier à ma connaissance à avoir mélangé l’art et l’humour, de façon délibérée. J’avais envie de le soutenir, à un moment où il était particulièrement fauché. Je n’ai pas l’âme d’un collectionneur et je ne possède rien qui ait de la valeur… à part mon oeuvre !
Je plaisante bien entendu.
Et bien ça sera le mot de la fin !
Merci.
Merci à Virginie Laguens, sans qui cette interview n’aurait pu avoir lieu.
studio de Jean-Paul Goude, photo de Maciek Pozoga
Les images sont reproduites avec l’aimable autorisation de Jean-Paul Goude