Luke Newton

Posted: December 9th, 2020 | Author: | Filed under: interviews | Tags: , | No Comments »

A l’occasion de sa deuxième exposition solo à la Galerie David Pluskwa, rencontre avec Luke Newton, jeune plasticien qui puise dans le quotidien pour créer des œuvres (d)étonnantes.

Small Dynamite 2/9

Parmi les pièces présentées dans l’exposition, on remarque immédiatement les crânes aux couleurs vives, qui s’inscrivent dans une longue tradition de l’Histoire de l’art : les vanités. Ce sont en général des peintures ou des sculptures représentant la mort avec un crâne humain et pouvant mettre en scène diverses activités. C’est assez frappant avec la série des Skulls réalisés à partir de collages sur carton.
J’ai développé cette série pendant le premier confinement. Le choix des couleurs donne une identité propre à chaque assemblage.
A vrai dire, je n’ai pas cherché à faire écho aux vanités au sens propre du terme : la série n’est pas une réflexion sur le caractère éphémère de la vie ou encore la Mort envisagée comme finalité inéluctable. J’ai plutôt utilisé le crâne comme symbole de l’humanité en me posant cette question : “Qu’est-ce qui caractérise l’humain ?” C’est la capacité à créer, produire, et… consommer ! Notre consommation quotidienne permet de nous identifier, on laisse une empreinte en quelque sorte. Il y a cette fameuse phrase en anglais “You are what you eat” : on est ce qu’on mange.

Skull 7/8

Vous avez étudié à la prestigieuse école d’art Saint Martins School à Londres, la presse vous qualifie de “Young British Artist”. Est-ce que vous vous sentez une filiation avec ces artistes qui ont apporté un nouveau souffle à la scène artistique britannique au tournant des années 80 et 90 ?
Bien sûr, ils ont été très influents et le sont toujours d’ailleurs. Et comme vous l’avez mentionné, j’ai reçu un enseignement artistique à Saint Martins avec des cours d’Histoire de l’art. J’aime aussi l’Antiquité donc toutes ces influences se retrouvent dans mon travail. 
Ça fait dix ans que je vis en France mais je me sens toujours Anglais, bien sûr ! Je porte un regard sur la société qui m’est propre, avec ma culture, mes références.

Nous sommes dans l’exposition qui vous est consacrée à la Galerie Pluskwa à Marseille. Comment la rencontre a-t-elle eu lieu ?
Je connais David depuis dix ans. J’ai travaillé auparavant pendant pas mal d’années avec JonOne, qui est également représenté par la galerie. David m’a offert l’opportunité de présenter mon travail il y a six ans à l’occasion d’une première exposition solo.

Oops!

Et vous avez choisi de vivre en France.
Oui depuis dix ans. Je vis entre Paris et Roubaix qui me rappelle mes origines, le Nord de l’Angleterre avec ses villes industrielles. Je trouve une chaleur humaine là-bas qui est incroyable. Et puis Paris bien sûr, qui m’apporte beaucoup, tant sur le plan professionnel que personnel.

A quoi ressemble une journée type de travail ?
Pour moi une journée type c’est le travail (rires). Je travaille tout le temps, même si je ne suis pas en production. Je suis toujours en train de réfléchir ou de faire le tri parmi mes idées. En ce qui concerne la production, je procède de manière très mécanique, un peu comme dans une usine. Il s’agit de capitaliser mon temps avec un procédé qui me permet de créer des objets de qualité dans un laps de temps le plus court possible. C’est parce que j’ai beaucoup d’idées dans ma tête ! Avec des œuvres déjà quasiment réalisées de toutes pièces, j’ai envie de parvenir à les matérialiser.

Votre travail a une portée universelle car quiconque peut y reconnaître les formes ou les objets utilisés. Il n’est pas nécessaire d’avoir une culture en Histoire de l’art par exemple.
Effectivement c’est mon but. J’ai en quelque sorte trois chapitres de création, le premier c’est la liberté – c’est-à-dire la liberté de créer ce que j’ai en tête en expérimentant avec des techniques différentes. Le second c’est l’école d’art avec le conceptualisme. On nous incite à réfléchir, souvent trop d’ailleurs, et trouver un concept pertinent. Et enfin le troisième chapitre c’est ce que je vis maintenant : articuler les deux en créant des pièces accessibles tout en étant conceptuelles.

Glock 2/10

En voyant la série des armes à feu réalisées à partir de crayons de couleur, on pense forcément au dessin de l’illustratrice Lucille Clerc largement relayé sur les réseaux sociaux suite aux attentats de Charlie Hebdo. Au-delà du contexte politique que je viens d’évoquer, comment vous est venue l’idée d’utiliser le crayon comme matériau ?
J’avais réalisé auparavant une petite série avec les silhouettes des armes les plus vendues à échelle mondiale. La seule chose qui changeait, c’était la couleur. Elle est devenue un produit de consommation à part entière car on peut choisir son téléphone en jaune ou en rouge par exemple. Mais c’est toujours le même produit en fin de compte.
On associe le crayon de couleur au coloriage des enfants, c’est un outil de création à priori, et non la création en elle-même. Et il y aussi un clin d’œil au ready-made de Marcel Duchamp car j’utilise un objet existant pour réaliser une œuvre.
Disons que les attentats m’ont donné l’impulsion pour concrétiser cette association armes-crayons et réaliser une série en collaboration avec la Galerie David Pluskwa. Les profits réalisés lors de la vente aux enchères ont été reversés aux familles des victimes des attentats.
Aujourd’hui, je poursuis cette série parce que cet objet est devenu essentiellement le symbole de notre liberté d’expression. Et j’aime toujours le contraste engendré entre le crayon de couleur et les armes et les symboles que ces objets véhiculent.

Happy Valentine’s 1/6

La série des sculptures Happy Valentine’s peut faire écho à la fois à la quête des like sur les réseaux sociaux, ou en tout cas l’approbation au sens large. Quel rapport entretenez-vous avec les réseaux sociaux ?
Initialement, les réseaux sociaux étaient censés faciliter les contacts entre les gens, mais cela a dévié peu à peu vers une approche plus égocentrée. La symbolique du coeur est ambivalente car elle peut engendrer une addiction. Je ne juge pas, j’essaie d’exprimer cette contradiction avec la série.
En ce qui me concerne, je me sers des réseaux sociaux pour faire la promotion de mon travail. Je les utilise comme un outil de communication, un peu comme si Luke Newton était une marque.

www.luke-newton.com
Né en 1987 en Angleterre.
Vit et travaille à Paris.

Un grand merci à David Pluskwa qui a permis cet entretien
www.galerie-pluskwa.com