Julien Salaud
Posted: January 1st, 2014 | Author: Adeline Wessang | Filed under: interviews | Tags: animals, animaux, Julien Salaud, taxidermie, taxidermy | No Comments »Constellation du chevreuil, trophée de chevreuil, clous, perles, coton, colle
Le travail de Julien Salaud rassemble tout un panthéon d’animaux représentés en utilisant différentes techniques telles que le dessin, la gravure ou la sculpture. Il est commun de penser que le thème principal de son travail est un questionnement sur la nature des liens unissant l’homme et l’animal. S’il s’agit bien d’un aspect de son travail, c’est davantage la transformation qui est au coeur de sa réflexion : transformer des dépouilles d’animaux de la forêt principalement, mais aussi des insectes, qu’il orne, qu’il pare de perles, de clous, de plumes ou de strass.
Julien Salaud vit et travaille à Orléans.
Il est représenté par la galerie Suzanne Tarasiève à Paris.
D’où vient votre intérêt pour l’utilisation d’animaux empaillés ?
Au début de l’année 2008 j’ai fabriqué deux petites sculptures avec des os, des plumes, des morceaux de bois et quelques graines ramenés de Guyane. L’une d’elle ressemblait à un perroquet empaillé lorsqu’on la regardait d’une de ses deux faces. J’étais inscrit en Master d’arts plastiques à l’université Paris 8 à l’époque, et lorsque j’ai montré ces travaux à ma directrice de recherche, elle m’a conseillé la lecture de The Postmodern Animal, livre dans lequel Steve Baker parle de taxidermie. Il y explique notamment comment les œuvres de Thomas Grunfeld, en renvoyant à la chimère antique, appellent l’imagination plutôt que la raison. Au même moment, j’ai découvert Chantal Jègues-Wolkiewiez, une ethno astronome qui a travaillé sur les peintures de la grotte de Lascaux. Elle a prouvé que les peintures zoomorphes de la Salle des Taureaux correspondaient à une carte du ciel de l’époque. Les taxidermies ont fait irruption dans mon travail à ce moment précis, et dans cette conjoncture, avec les Animaux stellaires. Ces pièces sont à la fois une mise en œuvre de l’animal étrange de Baker et une interprétation des découvertes de Jègues-Wolkiewiez. J’ajouterai que les taxidermies ont été un bon support de réflexion pour tout ce qui a pu m’intriguer au sujet de la mort.
Vieux Piraï emplumé, piranha séché, plumes de perruches ondulées, fourmis manioc, perles de rocaille, bois, coton sauvage, feuilles de cuivre, gouache, colle
Vous avez étudié la biochimie à l’université.
Pensez-vous que cela ait pu avoir une influence sur votre travail ?
Oui, définitivement. Mes premières années d’études étaient tournées vers les sciences dures. Durant cette période je me suis acharné à essayer de développer un esprit logique… Sans le moindre succès. Plus tard, mon premier emploi aura consisté à récolter les données de programmes d’études concernant l’impact des activités humaines sur la faune sauvage guyanaise. A vrai dire, je n’étais pas captivé par ces études, par contre j’adorais passer des journées entières à pister les animaux. Au final il ne m’aura donc pas fallu moins de dix ans pour admettre que je n’étais compatible ni avec les sciences et ni avec leurs systèmes d’appréhension du monde par l’ordre et la logique. Je me suis donc plongé dans l’art – la seule constante de mon parcours chaotique – sans pour autant abandonner les problématiques qui motivaient mes actions. Celles induisant un rapport à l’environnement par exemple.
La réalisation de vos pièces demande du temps, de la méticulosité ainsi que des volontaires.
Comment travaillez-vous ?
Il y a plusieurs sortes de beautés, je suppose que la mienne fonctionne plutôt comme un fruit : elle mature avec le temps. Du coup mon travail est très chronophage. Il l’est par goût : je ne suis pas dans la logique, pas plus dans le concept. Je cherche plutôt quelque chose qui serait de l’ordre de la contemplation. La contemplation demande du temps, alors si je veux la déclencher chez les autres, il faut que je commence par donner du temps quand je tente de faire un objet de contemplation. Il y a deux ans encore, je pouvais travailler seul sur mes pièces. Certaines me prenaient plusieurs mois, comme la Constellation du cerf (harpe) II par exemple. Mais le rythme de travail a considérablement augmenté dès la fin de l’année 2011, me forçant à appeler au secours pour que les œuvres soient prêtes à temps… Depuis je travaille régulièrement avec l’aide de tierces personnes, des amis ou bien des étudiants en art qui viennent faire leurs stages chez moi. L’été dernier nous avons été jusqu’à douze personnes à travailler dans le jardin pour préparer les expositions d’octobre ! Il y a quelque chose de très énergisant dans le travail en équipe. Les œuvres peuvent prendre une ampleur qu’il serait impossible de développer seul, et puis le partage du travail n’est jamais à sens unique. Travailler deux mois et demi à vingt-quatre mains une pièce demandant patience et méticulosité comme Printemps (nymphe de cerf) m’a récemment permis d’observer les conséquences du processus de création sur d’autres personnes que moi. Pour un peu ça me donnerait envie de faire des expositions-ateliers durant lesquelles les visiteurs de l’expo se transformeraient en créateurs des pièces exposées. J’ai l’impression que la meilleure façon d’entrer dans une œuvre, c’est de participer à sa réalisation.
Précieuse Goliath, goliathus goliathus albatus femelle, strass, colle, épingles
Vous travaillez avec une variété de médiums différents : le dessin, la peinture et bien sûr la sculpture.
Cela vous permet-il d’exprimer la même chose de manière différente ?
Est-ce important pour vous d’avoir recours à ces techniques différentes ?
Changer de média, c’est un peu comme prendre l’air ou partir en vacances. Ça permet de garder un bon équilibre de vie. Je crois que je m’ennuierai vite si je ne devais faire que du dessin, ou que de la sculpture. Ces deux médiums fonctionnent de concert chez moi : les dessins que je fais dans des carnets vont passer en sculptures, les sculptures vont être prétextes à des petites histoires en dessins, et puis, quand je ne peux pas transformer un dessin en sculpture ou inversement parce que ça ne correspondrait pas, alors je fais des photos. Donc oui, en effet, le changement de média peut permettre d’exprimer plusieurs formes d’une même chose. Mais il existe une deuxième possibilité : le changement de média peut entrainer une métamorphose de la pratique artistique. Dans ce cas, l’avant et l’après ne sont semblables ni dans la forme, ni sur le fond. Et pourtant, l’un et l’autre sont en continuité.
Pour l’instant, je n’ai vécu cette transformation qu’une seule fois. Mais je continue à pratiquer différents médias en espérant qu’un jour une prochaine métamorphose se réalise.
Poisson à plumes I, gravure (étapes I, II et III)
In Julien Salaud’s work there is a whole pantheon filled with animals depicted in different ways, such as drawing, etching and sculpture. It is generally accepted that his work examines the connections between man and animal. That is indeed one side of his work, but transformation is really the core of it: wood animals skins or insects turning into something else with additional beads, nails, feathers or rhinestone.
Julien Salaud lives and works in Orléans.
He is represented by Suzanne Tarasiève art gallery in Paris.
Where does your interest in working with stuffed animals come from?
In early 2008 I did two tiny sculptures made of bones, feathers, wood pieces and some seeds that I brought back from French Guyana. One of them looked like a stuffed parrot from a specific angle. I was then studying Arts at Paris 8 University and when my professor saw it, she recommended the reading of Steve Baker’s The Postmodern Animal, which is about taxidermy. Baker states that the works of Thomas Grunfeld, by referring to ancient chimera, carries imagination rather than reason. Meanwhile I discovered the work of Chantal Jègues-Wolkiewiez, an ethno astronomer who previously studied Lascaux cave paintings. She demonstrated that the zoomorphic paintings from The Hall of the Bulls correspond with the sky map at the time. Taxidermy occurred in my work at the same time with the piece les Animaux stellaires. These are both some application of Baker’s book and Jègues-Wolkiewiez investigations. And taxidermy was also a good way to think about death and the way I’m intrigued by the concept of it.
Do you think studying biochemistry at the University influenced your choices as an artist?
Definitely. The first years I studied hard science and I unsuccessfully attempted to develop logical thinking for myself… Later on my first job consisted of gathering data regarding the impact of human activity on the wildlife in French Guyana. I was not really passionate about it to be honest, but I really enjoyed spending entire days tracking the animals. In the end it took me ten years to admit that I was neither compatible with science, nor with its way of studying the world through order and logic. I then focused on Arts – the one and only continual thing in my chaotic process – without actually giving up the things that interest me for my work. I’m thinking about the ones dealing with environment or nature for example.
Constellation sans perle (daim), détail
You make pieces that require time, meticulousness and people to help in the process.
How do you usually work?
There are different kinds of beauty. I suppose the one I am interested in is like a fruit: I am not following a logical analysis, and I am not trying to have some concept. I am rather into contemplation, which implies taking some time. So if I want the audience to be aroused by contemplation, I have to take some time to be able to create an object that will provoke the same effect. Until two years ago I was still able to work on my own. It may take several months to finish a piece, like the Constellation du cerf (harpe) II. Since the end of the year 2011 the rhythm has increased, and I was no longer in the position to work on my own, I had to call for assistance to make sure the work would be ready on time… And I have been working with various people, friends or art students since then. Last summer we were like twelve people working in my garden to prepare exhibitions scheduled in October! Working among a team is somehow very inspiring. Works can exist in a way that you would never achieve on your own. In addition to that, working with different people is never a one-way thing. Twenty four hands worked with a lot of patience and precision on the piece entitled Printemps (nymphe de cerf) during two months and a half. I then witnessed the consequences of the creating process on other individuals than myself. It almost convinces me to do workshops-exhibitions where the visitors could also be involved in the making.
In a way I do think that the best way to understand a work of art is to participate in the creative process.
Constellation sans perle (daim), trophée de daim, clous, colle
You are also working with various media, such as drawing, painting, and sculpture of course.
Does it allow you to express the same things in different ways?
Is it important for you to work with all these media?
Working with various media feels like getting some air or taking holidays. It balances the whole thing you know. I think I would get bored if I was only into drawing or sculpture.
In my case these two media work well together: some drawings from my notebook will transform into sculptures and sculptures will become sketches sometimes. When I cannot make a drawing evolving into a sculpture or the opposite – because it would not match – I take pictures. So changing media is definitely a way of expressing several aspects of a same thing. But there is another possibility too: different media could also alter the artistic process. In that case what comes before and what comes after is totally different, visually speaking and regarding its contents. They are aligned with each other though.
I have experienced it once at the moment. But I keep on working with different media hoping that some metamorphosis would happen someday.