Yan Morvan
Posted: November 8th, 2016 | Author: Adeline Wessang | Filed under: interviews | Tags: blousons noirs, photographie, Yan Morvan | No Comments »Un café avec Yan Morvan
On a beaucoup parlé de Yan Morvan aux dernières Rencontres de la Photographie d’Arles. Il y présentait les Champs de Bataille. Un travail entamé en 2004 pour lequel il a parcouru le monde muni de son trépied et de sa Deardoff 20x25cm à la recherche des lieux où s’est déroulé un conflit armé ou une guerre. De Verdun au Mexique, en passant par l’Espagne et les Etats-Unis, il a rassemblé 430 images qui ont la particularité d’évoquer la guerre sans la montrer de manière frontale. Son travail invite plutôt à une réflexion plus globale sur l’Histoire.
Comment le présenter ? Photoreporter de guerre serait trop réducteur.
Il s’intéresse au chaos, à la violence, qu’elle soit manifeste ou juste suggérée. La série Blousons noirs avait choqué au moment de sa publication. Le sentiment de transgression est véhiculé par les photos de ces loubards en noir et blanc prises à la volée, dans l’action.
Il y a du Danny Lyon chez Morvan, car tout comme le photographe américain, il prend le temps de suivre ceux qu’il documente. Il en fait l’expérience. Il a passé près de trois ans avec ces bandes de rockers marginaux et les Hell’s Angels. Le résultat est époustouflant.
Je retrouve Yan Morvan à une terrasse du Marais, non loin de la galerie Thierry Marlat où est exposée la série de photos en noir et blanc sur les blousons noirs.
Le livre sur les blousons noirs sort prochainement.
J’ai déjà publié trois livres. Le premier s’appelait Le Cuir et le Baston, au moment où je suivais toutes ces bandes. C’était un livre de textes incluant un cahier de photos de seize pages; à l’époque l’édition de livres de photos était assez rare en France. Ensuite j’ai publié un deuxième livre, Gang, qui documentait les années 75 à 95. Le point d’orgue de l’ouvrage était mon enlèvement par Guy Georges. Et enfin Gangs Story. L’histoire de ces bandes est indissociable des vagues d’immigration en France.
La page Wikipédia qui vous est consacrée vous présente comme un photojournaliste de guerre.
On dit “Yan Morvan est sulfureux”. Je suis un peu comme un Pygmalion, chaque journaliste a tendance à me mettre dans une catégorie : ça va de l’intellectuel cynique au va-t-en guerre. Donc tout ça est très relatif puisque cela dépend de la personne que j’ai en face de moi. On a écrit que j’avais pris des balles, ce n’est pas le cas; je n’ai jamais été blessé.
Après la sortie des Champs de Bataille, qui m’a apporté une certaine notoriété, j’ai eu envie de faire quelque chose de plus personnel. Blousons noirs tel qu’il sort aujourd’hui est ce que j’avais en tête il y a quarante ans. Ce n’est pas un livre sur les gangs à proprement parler mais c’est un travail politique sur la fracture sociale de la société.
C’est un travail qui traite du déracinement.
Tout à fait. J’avais vingt ans, j’étudiais à la fac de Vincennes. Dans les années 70, les journaux ne publiaient pas de reportages sur le prolétariat. Je documentais un phénomène que personne ne comprenait à l’époque. Ces gens étaient en rupture avec la société, ils n’avaient pas fréquenté les bancs de l’école, ils portaient des croix gammées pour faire chier le monde. Ils allaient chercher des symboles de toute puissance sans en connaître la signification. C’est un comportement typique chez ceux qui sont en perte de repères. N’oubliez pas qu’à l’époque, la photographie sociale ne s’intéresse qu’au monde ouvrier et aux manifestations. Mais ce n’était pas du tout mon truc.
Parlez-moi de vos débuts.
J’ai étudié les maths mais je voulais faire du cinéma. L’un de mes profs m’a mis en contact avec le journal Libération et je me suis retrouvé à faire des photos pour eux. Donc j’ai fait de la presse pour gagner ma vie. J’ai documenté la guerre pendant longtemps, ça ne me dérangeait pas. Et finalement, la photo me convient mieux. Certains vont hurler mais la photo est plus complexe que le cinéma d’une certaine manière. Une photo doit rassembler toute une histoire en une seule image.
Alors que le cinéma déroule l’histoire…
Je présume que vous avez appris la photo par vous-même ?
Les écoles de photo n’existaient pas à l’époque. J’ai tout fait à l’instinct, sans être “pollué”. Je n’avais rien vu avant. Il y a des images dans les blousons noirs qui sont d’une violence et d’une spontanéité que je ne retrouverai probablement jamais.
J’ai entendu dire qu’il y a une histoire de bague à l’origine de votre incursion chez les blousons noirs…
C’était en juin 75. Je vendais des bagues sur la place du Tertre à Montmartre et j’ai croisé ce gars tout maigre avec son Perfecto en simili cuir et ses badges. Je l’ai suivi un moment avant d’oser l’aborder. Il accepte de poser et c’est le début d’une aventure chez les blousons noirs qui va durer trois ans. La grande majorité d’entre eux est issue de l’immigration. Ils vivent en périphérie chez leurs parents et se retrouvent le samedi soir pour une virée sur les Champs-Elysées ou dans un bar. Ils sont dans un état de révolte permanent, armés d’une simple chaîne de vélo ou d’un cran d’arrêt.
J’ai l’impression que votre travail porte sur la violence : elle est présente en filigrane sans être montrée de manière manifeste.
C’est difficile de vous répondre. En tout cas, la question que je me pose c’est “pourquoi je fais ça ?”. Pour moi, le monde est un chaos et l’homme est un loup pour l’homme. Les gens ne s’en rendent pas compte parce qu’ils sont préservés dans leur vie quotidienne.
J’ai été condamné à mort deux fois. Mais je suis toujours là !
Vous êtes un inconditionnel de l’argentique.
Oui, depuis toujours. J’ai quelques appareils numériques mais je l’utilise comme des gadgets. Les blousons noirs ont été faits au Leica en noir et blanc. Nous avons rassemblé toutes mes planches contact pour le livre. Et pour l’exposition à la galerie, nous avons utilisé un procédé de tirage assez inédit. La subligraphie est une technique de reproduction d’images de très haute qualité sur des matériaux durs recouverts d’un vernis polyester. L’impact visuel est saisissant.
Merci à Thierry Marlat (Galerie Thierry Marlat), Pierre Fourniaud (la Manufacture de livres) et Yan Morvan
Toutes les images sont reproduites avec l’aimable autorisation de Yan Morvan